C’est un film magnifique qui commence comme un grand polar et se termine comme un grand mélo. Au début il y a un cadavre, un crime, un mot prononcé par la victime comme seul indice. A partir de là deux policiers pugnaces vont enquêter méticuleusement, sillonnant en train le Japon du Nord au Sud. Vérifications de routine, interrogatoires inutiles, questions à un linguiste spécialiste des dialectes japonais, pistes douteuses, filature, exploration des registres d’état civil… Les deux inspecteurs prenant sur leurs congés, ou refaisant à pied le trajet d’un train le long d’une voix de chemin de fer à la recherche d’une preuve, ne reculent devant rien pour mettre un nom sur la victime, celui de son assassin et les mobiles du crime.
La mise en scène est d’une sobriété exemplaire ; le récit est fluide, bien mené avec un sens de la narration captivant, aidé de petites phrases qui s'inscrivent sur l'écran pour préciser les lieux ou le timing… astucieuse trouvaille narrative qui permet d'éviter la lourdeur d'une voix off. L’image, les cadrages, les paysages, la peinture de la vie de province japonaise, tout est superbe, vivant, passionnant : 1heure 25 de recherche obsessionnelle de la vérité, au cours de laquelle l'identité du coupable nous est progressivement suggérée.
On peut alors basculer dans la deuxième partie où va se révéler le mobile du crime. Et là, changement de tout au tout, de ton, de registre et de rythme. L’enquête policière méticuleuse se transforme en mélo grandiloquent, et le récit jusque-là fluide, se structure en une alternance de trois éléments narratifs : Le débrief de l’inspecteur qui révèle les tenants et aboutissants de l’affaire à sa hiérarchie, l’interprétation par le suspect/compositeur de musique de son concerto pour piano et orchestre subtilement intitulé « Le Destin », le flash-back de sa jeunesse misérable. Ces trois éléments s’imbriquent dans un crescendo d’envolées lyriques, à mon avis un peu excessives. Le thème musical du concerto et l’orchestration portée par des tonnes de violons ne sont pas ce que la musique a produit de plus léger, et certains aspects visuels du flash-back visant à traduire le caractère misérabiliste des origines du héros, sont un peu lourds. Malgré ces réserves, j’admets que la virtuosité finale transforme les explications psychologiques concluant habituellement les polars en acte artistique qui contribue, en opposition à la première partie plus rationnelle, à faire de ce film une œuvre d'une grande beauté.