Yoshitarô Nomura n’a pas eu le succès qu’il méritait en Europe. On a retenu les piliers du Jidai-Geki : Akira Kurosawa et Masaki Kobayashi pour ne citer qu’eux, ainsi que que ceux du Gendaigeki, dont Yasujiro Ozu est le porte-étendard, mais qu’en est-il des autres ? Les grands réalisateurs des 70’s dans tout ça, où sont-ils ? A l’exception peut être de Kinji Fukasaku et Hideo Gosha, il est difficile pour un non-spécialiste en cinéma nippon de répondre à sa question.
Et pourtant, le cinéma japonais ne s’arrête pas là, et poursuit brillamment son évolution dans les années 70 avec de grands réalisateurs tapis dans l’ombre : Shûji Terayama, Kenji Misumi, Norifumi Suzuki et tant d’autres. Tous se sont servis du cinéma passé pour le moderniser, en réinventant la manière de structurer les histoires, en innovant les techniques, en adaptant les récits aux changements sociétaux. Yoshitarô Nomura est de cela.
Un réalisateur multirécompensé dont on ne peut citer une œuvre, tant son nom semble invisible. Durant de nombreuses heures, nous pourrions venter les qualités de ce réalisateur, car il a un nombre incalculable de chefs d’œuvres à son actif. En commençant par Zero Focus en 1961, jusqu’aux années 80 avec Writhing Tongue, film horrifique sidérant, tout en passant par La voiture de l’ombre et L’été du démon, deux drames forts en intensité. Une rétrospective sur ce réalisateur est à prévoir dans le courant de cette années 2023, car nous voulons vous faire découvrir de la meilleure des manière ce génie du septième art.
Le film du jour est absolument phénoménal, en plus d’être l’œuvre ultime de son auteur, il est l’un des meilleurs films jamais réalisés.
Le vase de sable a reçu plusieurs récompenses l’année de sa sortie. Notamment, le prix Kinema Junpō pour son scénario et le prix du meilleur film, mais bien d’autres tels qu’une distinction Mainichi pour la réalisation de Nomura, ainsi que pour la musique de Yasushi Akutagawa et Mitsuaki Kanno.
D’ailleurs le film a été élu deuxième meilleur film japonais de l’année 1974.
L’œuvre en question est très représentative du cinéma de son auteur. Nous pourrions représenter la structure de ses récits par deux courbes, l’une ascendante, et l’une descendante. Celle qui monte représente l’ascension du mélodrame, celle qui descend le genre d’origine, ainsi que sa dissolution dans le temps.
Le vase de sable commence comme n’importe quel thriller. Nous suivons une enquête à travers le point de vue de policiers, et ce classicisme scénaristique vient vite se confronter et se faire remplacer par le drame. L’enquête n’est que prétexte, ce film n’est pas un thriller. Nomura vend toujours ses films de cette manière, il met en avant le genre qui s’enterre très vite dans le récit, pour justement surprendre l’audience et la balader dans des territoires inconnus.
Il joue sur cet effet de surprise, et lorsqu’on y arrive, il ne s’arrête plus. La finalité des Nomura, c’est le mélodrame, la quintessence émotionnelle. Rien d’autre. Et c’est dans ça qu’il excelle, sa capacité à emmener chacun de ses films dans cette direction, comme si tout menait à cette quintessence, comme si l’émotion était la finalité de tout, de chaque chose.
Cette overdose de bons sentiments ne peut que toucher par son exécution, par sa maîtrise du montage et de son déroulé. Bouder les mélodrames américains récents et leurs excès émotionnels est une chose devenue normale dans le cinéma. Bien que ces films soient généralement mauvais, ils le sont parce qu’ils ne sont pas maîtrisés, et que les sentiments qui y sont véhiculés ne paraissent pas vrais, juste là pour émouvoir. Quels en sont leurs objectifs ?
Avec Nomura, ils sont clairs, tout est prétexte à la création d’une harmonie par l’ensemble des techniques. La grâce est obtenue par un cheminement précis : l’évolution des personnages, les twists, la musique qui fait du mickeymousing, ainsi que les effets de montage.
Que dire sur cette magistrale composition ? Cette musique de l’orchestre qui vient accompagner dans un montage alterné, les drames de la vie, les traumatismes et les douleurs de l’enfance, dans une explosion émotionnelle absolument renversante. Un lien vient s’étendre, unir toutes les timelines du récit. L’expressivité du montage illustre avec brio la force intergénérationnelle de la musique, et son impact au cœur de l’œuvre. En plus de faire le lien avec les différents flash-backs, elle EST le lien. C’est la clef du Vase de sable.
Chaque effet de montage est pertinent, de la surimpression forte en symbolique à des effets plus classiques et intimistes. C’est un véritable film de cinéma, avec tous les ingrédients nécessaires à sa réussite.
Les acteurs sont eux aussi parfaits, Nomura dépeint l’intensité des sentiments humains de la même manière que le génie Kurosawa.
Le tout est sublimé par l’esthétique changeant du film, un univers qui s’adapte aux situations, empruntant aux plus grands : Kurosawa et Ozu sont les deux inspirations les plus notables pour ce qui est de la mise en scène. Le cinémascope permet bien évidemment de sublimer les paysages, de les rendre vastes et infinis, mais surtout de capter les émotions au plus proche des visages. Ici, chaque regard compte. La place du jeu est primordiale.
Le raz-de-marée d’émotions semble venir tout droit d’un film d’Ozu, avec des compositions très expressives nous rappelant celles du grand Kojun Saitō (Printemps Précoce, Crépuscule à Tokyo, Le Goût du saké…).
Le Vase de sable est un chef d’œuvre méconnu à (re)découvrir rapidement.