Je me suis mis à enchaîner les gialli - j'ai un certain goût pour le mélange de frisson, d'érotisme, d'enquêtes policières et d'intrigues tarabiscotées qui caractérisent ce genre - le tout enrobé de mises en scène et de bandes originales toujours soignées. Pour autant, ce "lézard à peau de femme" (le titre français de ce film est tellement nul, alors que le titre original est si beau) n'épouse pas tout à fait les codes du giallo. Un seul meurtre nous est montré, et de façon indirecte de surcroît. Nulle trace ici d'un tueur ganté adepte de chair fraîche. Fulci ne garde du giallo qu'une ambiance, en plus de l'enquête policière qui est bien présente et beaucoup plus crédible que d'ordinaire (pour une fois, le flic est malin), au point d'évoquer le brio d'Agatha Christie. Mais ce n'est pas pour cela que ce film - que j'avais déjà vu une première fois au cinéma il y a presque trois ans (et qui m'avait un peu déçu à l'époque) - est si remarquable. Sa force tient dans ses images et l'imaginaire qu'il déploie. À ce titre, l'entrée en matière est exceptionnelle, un cauchemar érotique fascinant qui d'emblée pose la singularité de l'œuvre. Ce qui me plaît particulièrement dans le cinéma italien de cette époque-là, et ce film-là en est une illustration parfaite, c'est la liberté de la mise en scène, l'incroyable diversité des plans qui nous sont proposés. Tout y passe : plans fixes, travellings, zooms, caméra à l'épaule, grand angle, plongées... Et tout cela sans jamais verser dans le kitsch absolu, l'irregardable comme c'est bien trop souvent le cas aujourd'hui. Malgré toutes ces afféteries formelles, la beauté demeure, car il y a toujours assez de retenue dans la mise en scène, assez de respiration pour qu'on en accepte les excès. Le décor humide de l'Angleterre bourgeoise, les tenues de Florinda Bolkan (prestation remarquable de celle qui était encore hôtesse de l'air quatre ans plus tôt), et la splendide partition d'Ennio Morricone - dont le thème principal (étonnamment peu utilisé dans le film) est pour moi le plus beau jamais composé pour le cinéma (avec peut-être ceux du Mépris et de Dernier domicile connu) - ajoutent encore au charme de l'œuvre.
On peut éventuellement regretter que la révélation finale n'atténue un peu la pertinence psychologique du film, ou autrement dit que celle-ci soit finalement subordonnée aux nécessités de l'intrigue, mais le portrait de femme demeure à travers ce qui nous est montré tout au long du métrage, c'est-à-dire la porosité entre une bourgeoisie bienséante et une jeunesse dépravée, celle-ci étant en quelque sorte le refoulé de la première. Carol Hammond, jeune femme riche et désœuvrée qui étouffe derrière ses chapeaux ("son père dit que si elle avait été un homme, elle aurait fait un grand avocat", dit à un moment son mari), reste un vrai personnage féminin et non un fantasme (ce sont bien ses fantasmes à elle qui sont explorés), ce qui dans un giallo est assez rare pour être souligné.
Je pense que c'est un film que je reverrai encore, car c'est un délice à tous niveaux.