La lumière revient déjà, et le film est terminé...
Le lendemain matin, avant la projection de Mononoke, c'est difficile d'écouter deux paltoquets disserter des faiblesses du dernier Miyazaki vu la veille au soir.
Partagé entre colère et pitié, il faut les entendre dégloser sur la faiblesse du dessin. "Mais ouais, les paysages surtout, au cinéma, on voit trop les défauts, c'est grossier".
Retenir un rire nerveux et un uppercut.
Bande de larves informes, ramassis d'étrons fumants, mais POURQUOI avez-vous eu des entrées pour cette avant-première, alors que sur votre siège auraient pu être assis deux êtres humains capables d'apprécier ce qu'ils voyaient.
Car oui, ce ne fut pas une mince affaire.
C'est pas tous les quatre matins qu'on décroche une telle avant-première alors zut, je crâne un peu.
Les places écoulées en 20 minutes, un vrai concert de rock.
Arriver deux heures avant le début du film, et tomber sur une file d'attente jusque dans la rue : celle des gens n'ayant pas de ticket et espérant obtenir l'un des rares sésames réservés pour les ventes de dernière minute, sans compter d'improbables annulations.
Prendre sa place en tête de gondole pour ceux possédant déjà le précieux.
Et puis c'est parti.
Deux heures de bonheur.
Un petit pincement au cœur en essayant de ne pas penser que c'est la dernière découverte.
On pourra les revoir, mais normalement c'est le dernier nouveau. L'excitation l'emporte sur la nostalgie.
Pourtant, c'est de cela qu'il s'agit.
Sur fond de biopic, Miyazaki-San éclabousse l'écran de ses états d'âme.
Le film est bien plus adulte que sa production habituelle, et empreint d'une indubitable touche autobiographique.
En forme d'excuse, quelques mots disséminés au cours de l'histoire nous rappellent que c'est, volontairement ou non, un quasi-testament.
Oh, il n'est pas enterré.
On caresse l'espoir qu'il revienne une fois encore sur sa décision.
Mais impossible de nier la portée de petites phrases comme "un artiste n'a que quelques années de création" et autres "il faut savoir s'arrêter".
Pas facile de déterminer la part de réel et de fiction dans la vie de cet ingénieur aéronautique, mais le recoupement avec celle du Maître apparaît, un homme absorbé par sa planche à dessin, négligeant ses proches, brûlant ses années sans arrière-pensée.
Les paysages justement, sublimes, véritables aquarelles, somptueuses, à vous arracher une larmichette en pleine projection, l'air de rien.
Juste un bout de campagne, de la fenêtre d'un train, et puis s'en va.
Comme un rêve qui passe.
Le rêve, toujours présent, derniers reliquats de l'onirisme imprégné dans tant de ses réalisations précédentes. Ici, l'incursion dans ces songes n'est qu'une occasion de plus d'affirmer sa passion, une échappatoire vite envahie à son tour par le quotidien, le travail.
Ce fil rouge avec un homologue italien, soulagement mais aussi torture qui mène à un dénouement aussi inhabituel qu'inéluctable chez Miyazaki.
Car si l'on parle de négliger les proches, c'est bien qu'il y en a à négliger.
Une romance tangible, elle aussi bien peu usitée dans l'œuvre du Maître sinon les amours enfantines, souvent légères, à l'issue joyeuse ou en tout cas rarement dramatique.
L'ensemble n'est pas dénué de tendresse, mais toujours teinté de mélancolie, on sent bien que le narrateur n'est pas totalement détaché de l'histoire.
C'est beaucoup trop court, on en voudrait plus mais bon, un parasol s'envole, tout comme les dernières minutes de pellicule.
Le vent se lève, emmenant avec lui les dernières images.
La lumière se rallume.
Il faut tenter de vivre