Le Vent se lève par Nonore
Le Vent Se Lève n'est pas un film intéressant comme il se présente, c'est-à-dire la biographie d'un ingénieur japonais entre les deux guerres, et qui créa par la même occasion, les chasseurs bombardiers japonais de la Seconde Guerre Mondiale. Bien entendu, le simple fait que Miyazaki puisse porter un regard sur la guerre est excitant, sauf qu'il ne le fait pas. Le célèbre dessinateur parle du vent. Juste du vent qui souffle, qui chuchote, qui gronde.
A travers ce vers d'une poésie écrite par Paul Valery, le réalisateur s'exprime, ou devrais-je plutôt dire l'homme, le vieillard tout propre sur lui avec ses soixante-dix ans derrière lui. Ici le héros n'est pas une jeune fille, ou une femme, c'est un homme. Il est certes jeune, mais son visage est ravagé comme s'il avait tout vécu, un vieil homme dans un corps bien frais. Le seul moment où sa jeunesse est apparente, se déroule lors de ses virées oniriques, dans ses rêves premièrement remplis de joie et d'envie pour finalement être imbibés de tristesse. Ainsi, le film est un contraste entre la réalité et le rêve, et plus on avance dans le film, plus le rêve s'éloigne de la réalité. Miyazaki prend son temps. Il écrit son film au rythme du vent. Les détails sont nombreux quand l'action fait place à la narration, la ligne est claire, légèrement épaisse. Au contraire, les éléments qui composent le cadre sont léchés par le vent quand le ciel râle de tous ses poumons, comme dans la scène du tremblement de terre, où tout est amplifié, les rails, les feuilles, les tuiles des maisons. C'est comme ça, quand la Nature parle chez Miyazaki, l'Homme se tait, par peur et par fascination surement.
Jiro est sous doute le personnage le plus tourmenté dans la filmographie de l'auteur, certainement pas le plus sympathique, mais assurément un des plus humains. Il a beau être poli, gentil et agréable, ce qui le guide est son ambition personnelle, quand la Nature ne s'y mêle pas. Toujours il travaille, sans cesse, même quand il dort. Tout le temps, il est en train de faire des croquis, de dessiner, de concevoir une idée, un avion, le sien précisément. Jiro n'existe que pour cela, et pour sa femme, aussi merveilleuse soit-elle. Miyazaki n'a jamais été bien romantique dans ses films, les relations sexuelles entre les individus, le désir de l'autre ne sont que très peu montrées, à la limite suggérées, ce ne sont que des enfants après tout. Or son dernier film est complètement adulte, non pas que les autres soient enfantins, loin de là, mais ici, il n'y a pas de visages d'enfants. En perdant cette trace de jeunesse, on perd également une partie de Miyazaki qui semble s'être envolée avec le vent et le temps. Naoko n'est pas une figure guerrière, aventurière, têtue, mais elle reste belle, pure et éperdument amoureuse, allant jusqu'à sacrifier sa propre santé. Le cinéma de Miyazaki est connu pour faire transparaître tous les sentiments, toutes les sensations humaines. Il paraît étonnant que, jusqu'à ce film, le cinéaste n'est pas plus développé cet aspect humain, l'amour. Bien sûr, il l'avait déjà montré dans ses précédents films mais d'une façon plutôt idyllique. Personne ne meurt dans l'amour, ni dans l'amitié. La relation entre Naoko et Jiro n'est certes pas complexe, mais elle est vraie, pure et belle. Sacrément triste aussi.
Néanmoins, malgré la dure réalité, le poids immense de la vie et de la mort, tout semble léger, on flotterait dans les cadres généreux de couleurs vives et pleines de générosité, d'onctuosité. Jamais vu un vert aussi vert, faut dire que j'adore le vert aussi. En fait, c'est le vent qui vous fait voler, grâce aux images sublimes, mais également grâce au travail sur le son et la musique. Le thème créé par Hisaishi n'a rien de bien mélancolique, alors que le sujet s'y prête. Il est simple, rebondissant, par moments, on distingue quelques envolées symphoniques, et puis tout retombe, le calme après la tempête. Le thème de Naoko est quant à lui plus déchirant, qu'il soit joué au piano, chaque note se distinguant de l'autre, ou au violon, se transformant en un mélodrame mélodique.
Le musique, le son, les dialogues, les avions, l'amour, Miyazaki, tout ça n'est possible et n'existe que grâce au vent. Le vent apporte tout. Son doux souffle caresse les avions, les fait voler comme une plume. L'avion en métal est égal à l'avion en papier avec le vent. Aussi, le vent fait voyager, il transporte les êtres dans différents endroits, les fait rencontrer, créant ainsi les relations humaines. Le vent amène des idées aussi, pourquoi pas, il fait tout le vent dans ce film. Sauf que le vent n'apporte pas que du bonheur, de la joie, et de l'amour. Le vent ramène avec lui les maladies qui tueront, il portera en lui les saletés de la fumée d'une cigarette, si seulement il n'y en avait qu'une. Bien entendu qu'il fera voler les avions, mais pour quoi ? Pour emmener des hommes à la guerre, et par conséquent à la mort. Le vent fait ça aussi, parce qu'en faisant tout, non seulement il apporte tout, mais il reprend tout aussi. Les ambitions, les illusions, les avions, Naoko, tout. Même dans les rêves, c'est pour vous dire.
Malgré cette omniprésence du vent, Miyazaki ne nous dit pas de vivre, seulement de tenter de vivre, d'essayer, ce n'est pas grave si on arrive pas, on est jamais complètement libre à cause du vent, dans nos malheurs et nos réjouissances. Tout paraît léger maintenant, il y a plus qu'à se laisser porter. Puis c'est pas bien grave si tu arrêtes le cinéma, vieillard, que tu files comme le vent, s'il y a bien une chose qu'il nous prendra pas, celui-là, c'est ta filmographie en or.