"Un ingénieur a dix ans de créativité devant lui, profitez-en" , confie Giovanni Caprone au jeune Jiro Horikoshi qui réalise son rêve de concevoir de beaux avions avec le A5M et ses ailes inversées en arête de poisson.
Viendra ensuite hélas le tristement célèbre chasseur Zéro ( A6M) qui fit de terribles ravages dans les rangs américains et....japonais.
Par cette phrase testamentaire qui ressemble à une "lettre à un jeune artiste", Miyazaki Hayao trésor vivant semble s'adresser à d'hypothétiques successeurs, à moins qu'il ne s'adresse à lui même, exprimant sa nostalgie pour cette vie d'artiste à laquelle il a tant sacrifié.
Pas autant que son héros qui a fait passer sa passion, son devoir-"je ferai de mon mieux" répète-t-il comme un credo- avant son amour pour Nahoko.
A l'origine petit projet personnel du Maitre, destiné à exprimer une dernière fois sa passion pour l' aviation, « Le vent se lève », s'est transformé en œuvre testamentaire par devoir.
Le brave soldat Miyazaki s'est donc attelé à la tâche avec cette remarquable conscience professionnelle qu'il avait pu observer chez son père, autrefois lui aussi rouage dévoué de l' industrie aéronautique au service de l' armée nationaliste japonaise.
Comprendre autant que rendre hommage à ce père qu'il jugea si sévèrement, lui l'ardent pacifiste ; mettre en garde la jeune génération japonaise ignorante du passé devant le danger de vouloir céder au vent mauvais de l' intolérance, du nationalisme et de la violence qu'il sent monter en Asie ( et ailleurs ? ), lui rappelant les sombres années 30...
Ces intentions dévoilées lors de ses interviews lestent d'un poids inhabituellement lourd ce film inscrit dans une œuvre jusque là formidablement aérienne ( le château ambulant étant un précédent avec son allure d'albatros empêtré, le pauvre Miyazaki ployant sous le poids du Studio Ghibli).
Résultat, après un bel élan initial dépeignant le petit Jiro rêveur, défendant plus faible que lui, portant secours à une jeune fille et sa servante dans le désordre imprescriptible du grand tremblement de terre de Tokyo en 1923, filmé comme si nous étions sur le dos d'un formidable dragon, le film plonge dans le tableau prosaïque du Japon d'avant-guerre, encore pauvre et durement touché par la crise de1929, en retard sur l' Occident mais voulant à tout prix se hisser au rang de puissance militaire.
Pendant ce temps là notre héros fume clope sur clope, écoute distraitement un camarade lui faire la leçon sur ce que tout cela annonce, le nez sur ses planches à dessin, devenu définitivement myope à ce qui l' entoure?
De ce survol académique où Miyazaki réprime son talent naturel je sauve un grand moment de poursuite impressionniste sur lequel plane l'ombre de M... le maudit.
Pour le reste, oubliée la formidable empathie du héros? Plus rien ne compte que ses avions... Non! L' Amour resurgit et Miyazaki de nous offrir la seconde envolée du film, frêle petit avion de papier qui vole, qui vole, emportant définitivement le cœur de la jeune phtisique Nahoko qui n'attendait que cela... si les ficelles qui nous y ont amené sont un peu grosses, nous ne boudons pas notre plaisir.
Oubliant le monde dans ce charmant « remake » de la Montagne magique, n'est-ce pas monsieur Castorp, il faut pourtant redescendre. Toutes ses voiles regonflées, parvenu à maturité, l'ingénieur Horikoshi, sourd à toutes les menaces, met son génie au service de la Mort, et nous sombrons avec Miyazaki dans le mélo japonais, un homme se sacrifiant à son devoir, une femme sacrifiant son existence à son époux, et à la fin cet affreux constat qu'il a tout perdu, le Myope qui ne voulait rien voir...
Oeuvre testament, le film a ce défaut souvent attribué aux premières œuvres d'artiste, vouloir trop en dire et mettre trop de soi-même. Un film engagé et un film personnel. Ici le Maître parvient mal à concilier les deux. Nous en sortons désorientés et un peu tristes que ce dernier vol ne nous ai pas transporté aussi haut que nous savons Miyazaki en avoir été capable.
Vous avez fait de votre mieux, Maitre, et de cela nous vous serons inconditionnellement reconnaissant.
PS: les connaisseurs du Japon reconnaitront un certain courage à Miyazaki de tenter pour son dernier film de confronter le Japon d'aujourd'hui au miroir de son passé. Pour un pays habitué au déni, et qui considère l'artiste comme un trésor vivant, il fallait oser s'y risquer.