Lee Miller
6.2
Lee Miller

Film de Ellen Kuras (2023)

Le biopic et moi, c'est une relation de base très tendue. Pour une proposition à minima audacieuse et digne d'intérêt (Bronson ou Ferrari au hasard), combien d'hagiographies sentencieuses, lourdingues et d'une platitude visuelle déprimante ai-je dû m'infliger en contrepartie ? Autant d'antécédents désagréables expliquant la méfiance accrue ressentie au moment d'entrer dans la salle, pour un film dont l'affiche et la bande-annonce semblaient hurler à tout bout de champ : « Donnez-moi un Oscar ! »...

On pourra au moins accorder à Lee Miller le mérite de ne pas chercher à mentir trop longtemps sur la marchandise, dans la mesure où le long-métrage accumule dès les premières scènes le pire de ce que l'académisme hollywoodien ronflant peut produire. Une mise en scène plate au possible, certes soignée au niveau de l'image (ce qui est logique pour une réalisatrice ayant officié en tant que directrice de la photographie), mais incapable de produire du sens en termes de montage et de rythme. Un défilé de têtes bankable venus, au choix, toucher leur chèque histoire de payer les factures ou apporter une caution glamour au film afin de rameuter le maximum de monde en salle. Un traitement scénaristique d'une superficialité affligeante, se résumant grosso merdo à la transposition visuelle d'une biographie Wikipédia, qui ne s'attarde sur rien et survole tout. Et comme le spectateur est visiblement trop con pour comprendre ce qui se passe à l'écran, une voix off chargée d'expliquer en long, en large et en travers le déroulement de chaque scène. Les poncifs habituels, diront certains. Rien qui ne justifie de ressentir autre chose qu'un ennui somme toute assez prévisible. A cet argument, j'aurais pu répondre par l'affirmative si le film ne dégageait pas au fur et à mesure un relent de plus en plus nauséabond.

Sitôt Lee débarque-t-elle sur le front qu'il ne faut pas longtemps pour se rendre compte que son métier de photographe de guerre, soit l'argument de vente principal du long-métrage, est relégué sans vergogne à l'arrière-plan. Aucune réflexion sur le rôle déterminant de sa fonction dans la prise de conscience collective des horreurs du conflit, ou sur l'esthétisation – et donc le sensationnalisme - inhérente d'une image figée sur pellicule, aussi objective soit-elle (soit des questions qui animaient le bien plus pertinent Civil War d’Alex Garland). Non, le vrai sujet de Lee Miller... c'est Lee Miller elle-même, sa détermination, sa pugnacité la poussant à remettre en question les codes masculins de l’époque, et qui feront d’elle une femme en avance sur son temps, une figure supérieure au commun des mortels. Cette glorification béate de l’individu en opposition à la masse conformiste, idéale pour les adeptes de Ayn Rand, mais qui personnellement me sort de plus en plus par les trous de nez, devient franchement indécente dès lors que le film dresse un catalogue superficiel des diverses exactions de l'époque dans le seul but de mettre en valeur le féminisme avant-gardiste de Miller.


Une femme accusée de coucherie avec un allemand et tondue en public ? La grande Lee Miller, pétrie d’humanisme flamboyant, se dressera seule face à ces sales machos et ces vieilles peaux hystériques histoire de leur crier en face leurs quatre vérités. Une jeune française sur le point d’être violée par un soldat persuadé que sa participation à la libération de Paris lui donne droit à quelques faveurs ? La combattive Lee Miller, qui comme par hasard passait par là, sauvera son honneur en plus de lui fournir les armes (physiques et mentales) indispensables à son émancipation. Le summum du dégueulasse est clairement atteint lors de cette séquence lunaire dans laquelle Lee enrage de ne pas voir ses clichés publiés, non par indignation envers le fait que la vérité soit masquée au public, mais parce que l’un d’eux représente une fillette violée dans les camps à laquelle elle s’identifie du fait d’un traumatisme similaire, et dont elle espérait que la diffusion lui permette de tourner la page. Franchement, que peut bien peser le massacre innommable de tout un peuple face à la souffrance d’une femme victime du patriarcat ? L’horreur à l’échelle de l’humanité reléguée derrière la souffrance individuelle et narcissique, il fallait oser…


Bien entendu, on évite soigneusement de s’attarder sur la moindre zone d’ombre : aucune mention de la haine viscérale du peuple allemand que Lee a développée au fil du temps, de ses rapports plus que compliqués avec son fils, de sa liaison extra-conjugale avec son collègue juif… bref, tout ce qui risquerait d’entacher l’aura du personnage mais qui, paradoxalement, lui confèrerait un brin d’humanité et éviterait à la grande Kate Winslet, en sous-régime complet, d’avoir en permanence l’air de se demander ce qu’elle fait là. Le ratage est tel que le film en vient à saborder ses rares bonnes idées : la scène dans laquelle Lee découvre le charnier des camps de concentration, utilisant judicieusement le hors-champ pour suggérer l’idée d’une horreur impossible à retranscrire par la fiction, perd tout intérêt en cédant à la révélation voyeuriste dans les derniers instants. Quand on se rappelle que seulement quelques mois plus tôt, La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer remettait magistralement sur le tapis la question des limites de ce que le cinéma peut montrer, on a encore moins envie de faire preuve d’indulgence face à ce genre de procédé racoleur.


Et comme on est plus à ça près, on se permet même une petite mise en abyme de l’actualité en montrant Lee et son cercle d’amis financièrement aisés fustiger la bêtise de la foule ayant élevé Hitler au pouvoir. Une manière on ne peut plus « subtile », alors que les élections outre-Atlantique se rapprochent à grands pas, de rappeler ce que ça donne quand les masses populaires ignares et intolérantes élisent un méchant dictateur prêt à détruire tout ce qu’incarne la bienveillante bourgeoisie progressiste et éclairée. D’autant plus si elle d’origine yankee, la seule à avoir le courage de publier des clichés sur la guerre ou de permettre à une femme de tenir tête aux hommes.


America Fuck Yeah ! comme disait l’autre.


Little-John
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le 14 oct. 2024

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