Ellen Kuras ambitionne de rendre hommage à l’une des figures les plus captivantes du photojournalisme, mais le résultat s’avère décevant, tant sur le plan narratif qu’émotionnel. Si la vie de Lee Miller, femme libre, muse, photographe et témoin des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, est en soi une matière romanesque, le film en livre une version trop propre, trop linéaire, qui ne rend pas justice à la complexité de son parcours. Porté par une Kate Winslet investie mais handicapée par un rôle sous-écrit, 𝐿𝑒𝑒 ne parvient pas à transcrire l’épaisseur psychologique de son personnage ni les ambiguïtés qui l’ont rendue si fascinante.
Visuellement, le film tire parti de l’expérience de Kuras en tant que directrice de la photographie. Les cadres sont élégants, parfois audacieux, et l’on sent un véritable soin apporté à la reconstitution d’époque. Certaines séquences, notamment celles qui dépeignent la vie de Miller en zone de conflit, laissent entrevoir un potentiel plus sombre et viscéral. Malheureusement, ces tentatives inabouties se comptent sur les doigts d’une main, et la mise en scène préfère un classicisme poli à une véritable immersion dans la brutalité de la guerre. Les scènes censées illustrer l’horreur vécue par Lee Miller donnent l’impression de simples reconstitutions, sans jamais véhiculer la charge émotionnelle que l’on attend d’une telle histoire.
Le scénario, quant à lui, s’apparente trop souvent à une succession d’anecdotes, comme si l’on cochait un à un les épisodes marquants de la vie de Miller; sa rencontre avec Man Ray, son rôle de mannequin, son entrée au sein des troupes alliées, puis le fameux bain dans la baignoire d’Hitler. Pourtant, aucun de ces événements ne se voit réellement approfondi. Pire encore, la dimension traumatique, essentielle pour comprendre l’évolution de la photographe, est presque éludée. Le film ne tente jamais de pénétrer l’intériorité d’une femme confrontée à l’indicible, ni d’explorer comment l’horreur de la guerre l’a transformée et conduite à un certain dégoût de la vie mondaine.
Dans ce contexte, la performance de Kate Winslet souffre d’un manque de matériau dramatique. Elle illumine quelques scènes par sa présence, mais les nuances de Lee Miller, avec ses contradictions, sa fragilité et sa révolte, ne sont qu’effleurées par le scénario. Plutôt que de nous offrir une Lee complexe, capable de fasciner et de troubler, le film s’en tient à une vision trop sage, presque hagiographique.
En définitive, 𝐿𝑒𝑒 ressemble davantage à un biopic de commande qu’à une véritable plongée dans l’âme de son sujet. Alors même que la vie et l’œuvre de Lee Miller méritaient un traitement plus engagé, le film se perd dans une forme de respect excessif, évitant soigneusement toute noirceur ou complexité. En ne faisant qu’effleurer l’horreur de la guerre, il s’avère bien trop sage pour le message qu’il devrait porter et ne rend pas hommage à la femme qu’était Lee Miller.