Voilà une œuvre que je souhaitais voir depuis un certain temps, et la disparition de Jean-Pierre Marielle aura finalement été le prétexte pour me décider.
En fait, je renâclais un peu car j'avais bien compris que "Les âmes grises" était le genre de film à éviter un soir de déprime : sombre, pessimiste, morbide, peuplé de personnages à l'avenant, le constat se vérifie rapidement.
D'autre part, un film de chef opérateur présente le risque que la forme soit privilégiée au détriment du fond : en effet, Yves Angelo (auteur notamment du "Colonel Chabert") soigne sa photo grisâtre et son atmosphère, et se montre moins adroit pour développer un récit captivant.
En fait, "Les âmes grises" souffre surtout d'un rythme lent qui occasionne des longueurs, mais peut compenser par certaines qualités appréciables, notamment dans sa peinture d'une petite ville française proche du front durant la Première Guerre Mondiale.
La première moitié du film, à cet égard, s'avère une réussite. La chronique sociale fonctionne bien et pointe avec acuité les horreurs de la guerre, la perte de repères, et les comportements malsains qui en découlent : la folie de l'instituteur, la jalousie des poilus à l'égard des "planqués" (ouvriers et fonctionnaires), la coupure totale entre les élites et le peuple...
A cette ambiance dépressive, il faut ajouter le choix de personnages ternes (les fameuses âmes grises du titre) : tristesse, veulerie, cruauté, le tableau n'est guère reluisant, à peine rehaussé par la joie de vivre de la nouvelle institutrice (Marina Hands) et l'innocence de la petite Belle de Jour(Joséphine Japy), cette dernière étant mystérieusement assassinée.
La quête de l'identité du meurtrier n'est pas la priorité du réalisateur (à tel point que la résolution finale restera assez floue), mais on aurait aimé que cet aspect du récit vienne dynamiser une narration de plus en plus empesée, en particulier dans sa seconde moitié, où le film se met à tourner en rond - la faute à des relations peu creusées entre les divers protagonistes.
Cette adaptation du romancier Philippe Claudel laisse donc une impression mitigée, mais peut s'appuyer sur quelques scènes marquantes (celle où Marina Hands, face au coteau qui la sépare du front, écoute le vacarme du canon en imaginant son amoureux) et sur un casting de choix (Marielle, Villeret, Podalydès...) pour justifier son visionnage.
Mais pas un soir de déprime.