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On aime à penser que l'originalité est ce truc de magicien, le code secret débloquant l'accès vers l’irréfutable triomphe. En réalité, ce n'est rien de plus qu'une vue de l'esprit et on le mesure chaque année. L'art et la manière, dit-on. On peut s'agiter en tout sens et ne rien faire d'autre que brasser de l'air ou avancer à son rythme, soigner chaque pas jusqu'à sa destination. Tiens, prenez Martin McDonagh (au hasard bien sûr). Derrière son Three Billboards, on y trouvait une trame on ne peut plus simple. On achevait pourtant la séance avec le sentiment d'avoir été amusé, dérouté et ému. Qu'en est-il aujourd'hui avec Les Banshees d'Inisherin ? Pitch encore plus dépouillé et on se fait prendre ! Encore ! Comme par magie ?


Padraic et Colm étaient les meilleurs amis du monde. Puis un jour, Colm décide de mettre un terme à cette amitié. Comme ça. Pas tout à fait sans raison mais nulle qui puisse être acceptée par Padraic. Un peu comme ce dernier, on cherche à recomposer une logique derrière cette étrange situation. Plutôt que de jouer les prestidigitateur, McDonagh nous martèle ce qui se passe sous nos yeux, à chaque séquence, au premier plan, à l'arrière-plan, tout le temps. C'est peut-être pour ça que ça nous échappe. Accompagnant le malheureux éconduit dans son petit train-train, sur cette île magnifique où chaque jour est un décalque du précédent, on se laisserait ensorceler si un soupçon de gêne ne venait ternir ce ronron quotidien. Une impression qui va en crescendo malgré l'humour, malgré les personnages excentriques ou les échanges désopilants.


Un malaise existentiel enveloppe les paysages irlandais, traverse Colm, entoure Padraic et leur entourage proche tandis que Les Banshees d'Inisherin s'épaissit de plus en plus. Le contexte historique tout comme la mythologie irlandaise s'incorporent dans le récit avec subtilité sans désorienter le spectateur. Connaisseur ou néophyte (j'appartiens à la seconde catégorie), chacun comprendra instinctivement le sens à détacher derrière cette curieuse (et profonde) rupture. Comme pour Bon baisers de Bruges et Three Billboards, McDonagh use de l'humour mais il ne vient jamais entamer la peine ou la dureté. Au contraire, il permet d'abolir la distance entre nous et des personnages, qu'ils se voilent la face ou se dirigent yeux grands ouverts dans une impasse. Les registres forment un tout à la saveur incomparable, parfaitement incarnés par une distribution du tonnerre.


L'année 2022 a été un superbe cru pour Colin Farrell, entre son excellent Pinguin dans The Batman, After Yang et cette nouvelle collaboration avec McDonagh ainsi que Brendan Gleeson. L'alchimie entre les deux comédiens est aussi prégnante que pour ...Bruges. Farrell n'est jamais meilleur que quand il personnifie les âmes à fleur de peau, là où Gleeson fait merveille chez les blocs de granit en proie à la lézarde. Kerry Condon a fort à faire avec un personnage devant manier tendresse et fermeté, et elle le fait admirablement bien. Quant à Barry Keoghan, il crève l'écran dans un rôle borderline étonnamment troublant. "Étonnamment troublant", c'est un peu la synthèse du cinéma de McDonagh. Qu'on en ressorte charmé ou frustré, la sensation met du temps à vous lâcher. Le signe d'un tour plutôt réussi.

ConFuCkamuS
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le 30 déc. 2022

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