Sous ses airs de film mineur, modeste et épuré, ‘Les Banshees d'Inisherin’ se révèle en fait être un grand film. Le précédent film de McDonagh ‘Three Bilboards’ était déjà vraiment très bien. Mais avec ce film, sorte de condensé de sa filmographie, Martin McDonagh atteint un sommet et prouve qu’il est un grand cinéaste.
Sur Inisherin - une île isolée au large de la côte ouest de l'Irlande - deux compères de toujours, Padraic et Colm, se retrouvent dans une impasse lorsque Colm décide du jour au lendemain de mettre fin à leur amitié. Abasourdi, Padraic n’accepte pas la situation et tente par tous les moyens de recoller les morceaux, avec le soutien de sa sœur Siobhan et de Dominic, un jeune insulaire un peu dérangé.
‘Les Banshees d'Inisherin’ semble combiner tous les précédents films de McDonagh. On retrouve un goût prononcé pour les dialogues comme dans ‘Bon baisers de Bruges’ ainsi qu’un savant mélange de drame et comédie qui faisait déjà la force de ‘Three Bilboards’. Le film commence comme une comédie avec son personnage un peu simplet, le folklore irlandais et les dialogues volontairement triviaux. Mais à mesure que l’histoire avance, le tragique s’immisce petit à petit jusqu’à ce que le film devienne un drame, mais encore parsemé de touches d’humour. L’équilibre est parfaitement trouvé rendant le film hybride, à la fois populaire au bon sens du terme et très profond.
‘Les Banshees d'Inisherin’ est un très beau film sur l’amitié et personnellement, j’ai toujours aimé les films sur l’amitié (au masculin avec ‘Le cercle des poètes disparus’ de Peter Weir ou au féminin avec ‘Confidence pour confidence’). On y voit que l’amitié est toujours inégalitaire. Plus précisément, il y en a toujours un des deux qui a plus besoin de l’autre. C’est également ce que montrait ‘Close’ de Lukas Dhont. Ainsi quand Colm demande à Padraic de cesser de lui parler, celui-ci est déchiré et ressent un vrai manque.
Evidemment, tout cela est une histoire d’orgueil, et l’orgueil masculin conduit toujours au pire (en tout cas au cinéma). Cette histoire d’amitié masculine ne doit cepandant pas faire oublier le personnage féminin, qui est essentiel. Car au fond, ‘Les Banshees d'Inisherin’ raconte l’histoire de cette femme victime collatérale de la folie de ces deux hommes. Elle tente de calmer la situation, de réparer les pots cassés mais n’aura comme choix que de partir pour échapper à cette escalade de violence. Ces deux hommes, blessés dans leur chair et parfaitement égoïstes, ne ressentent pas le mal que leur brouille créée autour d’eux. Sur cette femme, les autres habitants et surtout deux bêtes (car au moins deux bêtes ont un rôle important dans le film). Il y a l’ânesse de Padraic, symbolisant la gentillesse à toute épreuve, qui fera les frais de cette dispute. Et puis il y a le chien de Colm, qui semble pressentir avant tout le monde ce que va faire son maître (je n’en dis pas plus), et qui tente de protéger son maître contre lui-même.
Comme pour ‘Three Bilboards’, Martin McDonagh filme les paysages, l’île, le village comme le faisait John Ford dans ses films. Avec une photographie somptueuse, le réalisateur irlandais magnifie la lande irlandaises avec ses lacs, ses plaines, ses murs de pierre. On a parfois l’impression d’être dans un western. Il y a le pub qui fait penser au saloon. Dans leur étendue et leur vide, les plaines de verdures font échos aux paysages américains. Il y a du bétail, les hommes se battent. Certains personnages font d’ailleurs penser à des cow-boys, notamment Colm et son physique assez massif.
McDonagh, comme à son habitude, apporte une vraie complexité à ses personnages. Ainsi Paidraic, qui nous apparaît tout d’abord simple d’esprit, se révèle bouleversant dans sa profonde solitude. Derrière son physique imposant et son visage abimé par la vie (et sans doute aussi par l’alcool), Colm révèle un vrai désespoir. Le réalisateur-scénariste sait conférer une humanité aux gens qui n'ont rien. Ainsi le personnage de Dominic se révèle plus complexe qu’il en a l’air. Les personnages, purement comiques, sont parfaitement croqués comme ce prêtre abrupte et cette sorcière folklorique.
Franchement, courrez voir ‘Les Banshees d'Inisherin’. Même si nous ne sommes que début janvier, on peut d’ores et déjà dire que ce film marquera l’année et peut-être plus. Superbe et bouleversant.