Y'a pas à tortiller, Les Banshees d'Inisherin est un très bon film, et ça rien que pour les sujets qu'il met sur la table. Personnellement, j'ai eu droit à plus d'une heure de discussion en post-séance avec les gens avec qui je l'ai vu. C'est vraiment un film à ruminer, qui pousse à la réflexion, car il est plutôt très bien écrit.
Les scènes sont pour la majorité pertinentes, les liens de cause à effet se goupillent très bien, les personnages ont tous quelque chose de tangible, les protagonistes, leurs dialogues et réflexions sont très plaisants à suivre. La plupart des gens sont cons (réaliste, comme dans la vraie vie), cons mais sympathiques et ça faisait toujours écho à des choses qui me parlent, que j’ai côtoyé. C’est un récit sur l'amitié, l'engagement, la sensibilité, la personnalité et les liens sociaux, dans ce cadre insoutenablement étouffant de cambrouse à bouseux, huis clos aliénant et abrutissant à la As Bestas. On comprend même les gens les plus méprisables et misérables quand on voit la rudesse de cette période et de ce lieu. C’est terrible mais réaliste, d’ailleurs on rage beaucoup sur les défauts de notre modernité et de l’urbanité, mais force est de constater que ça brasse plus. Les relations sociales paraissent beaucoup plus “aérées” (et saines ?) quand les gens sont entassés les uns sur les autres, alors même que ce sont les campagnards qui sont dans une nature plus sauvage qui paraît ouverte et accueillante. Des sujets annexes sont aussi traités d’une manière tout aussi pertinente, j’aime beaucoup ce que la sœur du protagoniste montre des relations amoureuses, le destin de l’”idiot du village” est atroce et bien mené.
Le parallèle avec les conflits de l’Irlande n’est pas bête, j’adore d’ailleurs la scène où il sort de chez lui, voit des explosions au loin et dit un truc du style “Peu importe pourquoi vous vous battez, mais bon courage” alors qu’il s’en fout et qu’il part se pinter la tronche au bar. Également la scène où le policier facho de service ne se rappelle plus qui exécute qui, au final la morale les gens s’en foutent, ils prennent ce qu’on leur donne tant que c’est du pain et des jeux.
Encore une fois, vraiment chapeau bas au scénariste car c’est tellement satisfaisant d’assister à tout ça (je devrais pas employer le mot satisfaisant alors que l’ambiance est à ce point écrasante…). C’est très plaisant que le film soit aussi bien ancré dans la culture irlandaise, avec ces expressions et accents de malade. Parfois même l’histoire prend des allures de tragédie grecque, où tout semble toujours annoncé à l’avance mais se produit inexorablement, avec le personnage de la banshee presque mystique (et plutôt très bien mis en scène comme elle apparaît toujours à des endroits anxiogènes, notamment comme géniale “tâche floue noire” sur la scène où le héros dit au revoir à sa sœur qui part en bateau).
La réalisation est d’ailleurs très sympa, bien sûr grâce aux paysages soufflants d’Inisherin mais aussi grâce à de judicieux placements de caméras offrant des cadres très bien composés et esthétiques. L’unique petit détail qui m’a dérangé dans la réalisation de l’ami Martin McDonagh, où devrais-je plutôt dire Marty McDonald c’est qu’il semble s’être fait corrompre par les travers du cinéma américain après son passage à Hollywood. Les plans coupent trop vite à mon goût, la caméra cut et saute beaucoup alors qu’on a envie de passer du temps et de profiter longuement de ces cadres et décors somptueux et ouverts, c’est dommage !
L’élément qui pourra laisser quelques personnes sur le carreau c’est la noirceur, la lourdeur du film où on entrevoit quasiment jamais la lumière alors que s’ajoute souvent un côté barré, où des boutades et réflexions absurdes interviennent sur des choses qui seraient gravissimes si elles étaient présentées sérieusement au premier degré. Ca ajoute un peu de légèreté j’imagine… Malgré tout le vrai défaut du film pour moi c’est d’être vraiment trop noir, d’aller un peu trop profond à mon goût : on passe notre temps à voir des problèmes, mais jamais des solutions. Évidemment il y a la fuite de la sœur, qui est l’une des solutions les plus valables à mes yeux, mais malgré tout je crois à la parole. Je pense que notre espèce a une faculté de communication inouïe et que pour peu qu’on soit en capacité d’écouter il est possible de résoudre quasiment tous nos problèmes, de se mettre en accord, d’aligner nos avis… Ma croyance en la rhétorique est sûrement un peu trop utopique…
M’enfin vous aurez compris que Les Banshees d’Inisherin est un très bon film de ce début d’année qui mérite votre temps, très satisfaisant dans sa forme et très intéressant sur son fond. Il traite de sujets compliqués et denses de façon judicieuse, dans un cadre somptueux qui plus est. Allez-y avec des amis, vous comprendrez pourquoi vous les perdrez…