Il est assez difficile de parler de l'étrange film que constitue Les Bonnes Manières sans dévoiler des pans importants de son intrigue, aussi cet avis contiendra du spoil.


Les Bonnes Manières est un film brésilien sorti en 2017. Il met en scène Clara, une apprentie infirmière en soucis financiers, qui va se mettre au service d'Ana, une riche provinciale mise en résidence à Sao Paulo par sa famille à cause de sa grossesse. Alors que les deux femmes délaissées se rapprochent, Ana, au fur et à mesure de sa grossesse, semble prise d'étranges crises qui surviennent à intervalles réguliers.


Le film est découpé en deux parties bien distinctes, d'une heure chacune, avec une ellipse au milieu. La première partie, lente et contemplative, surtout dans sa première demi-heure, installe le drame dans une économie très dépouillée, presque théâtrale, on a essentiellement deux personnages et un décor. Il s'agit ici de parler en creux des inégalités du Brésil moderne à travers un couple de personnages opposés, une femme blanche et une femme noire, une riche et une pauvre, l'une au service de l'autre, dans un univers clinique, immaculé, inquiétant d'appartement moderne. La dynamique du couple fonctionne bien même si le tout demeure assez distancié, on s'englue un peu dans l'exposition interminable du film mais il y a quelque chose qui marche bien dans la présentation de cet univers sans âme des grandes classes bourgeoises. Celles-ci seront d'ailleurs assez efficacement représentées en métonymie durant tout le film par des plans sur l'architecture contemporaine de Sao Paulo, angulaire, monumentale, menaçante.


Quand survient finalement l'accouchement et que l'on nous confirme bien qu'Ana est atteinte d'une sorte de lycanthropie, les choses bascules. Le bébé loup-garou tue Ana en faisant exploser son ventre, Clara le sauve et s'enfuit. La deuxième partie nous montrera comment Clara essaiera d'élever cet enfant particulier dans la favela, en cachant son mal, même si l'on se doute bien qu'un jour les précautions seront insuffisantes.


Cette seconde partie du film alterne entre un réalisme social assez appuyé et une esthétique de film fantastique plus contemporaine, à la del Toro par exemple. Le blanc du début se teinte de couleurs ocres ou brunes, assez douces, et donne une ambiance intime de village à la favela. On peut suivre dans cette partie du film de manière assez classique l'illustration des conflits avec le corps que représentent traditionnellement les films de monstre, comment dompter sa bestialité et cie, vaguement revu par un traitement du végétarisme en filigrane qui n'est pas non plus d'une originalité folle. Le loup-garou en synthèse est malheureusement plutôt raté d'un point de vue technique et il prive le film de ce qu'il pourrait avoir de viscéral dans ses rares scènes horrifiques. Dommage, on perd de la puissance qu'avait le film lorsqu'il utilisait le décor intéressant d'un centre commercial de nuit.


Curieux film que ces Bonnes Manières. Il mêle à un décor moderne une approche du problème de la lycanthropie extrêmement conventionnelle une fois qu'on lui a retiré ses atours design. C'est presque toujours très beau, les actrices sont convaincantes, le gamin aussi, c'est bien écrit, c'est quelque chose qu'on a pas encore vu dans l'absolu, mais on n'est pas surpris ni vraiment arraché pour autant.


A essayer tout de même. Par exemple si vous avez aimé des films type Morse.

S_Gauthier
7
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le 3 janv. 2021

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S_Gauthier

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