Les Camarades est un grand et beau film politique qui, plus de cinquante ans après sa réalisation, n'a pas pris une ride. Turin, fin du 19ème siècle, en plein hiver neigeux et grisâtre. L'industrie textile emploie de nombreux ouvriers qui travaillent 14 heures par jour pour un salaire de misère (rien que ça, ça fait déjà froid dans le dos). Se lever à 5 heures et demi du matin, briser la glace dans la bassine pour avoir de l'eau et filer à l'usine est le quotidien des personnages. Pause de trente minutes pour le déjeuner, dehors malgré le rude hiver, reprise jusqu'à 21heures. Mario Monicelli montre avec un tel brio cette routine quotidienne, cet harassement au travail où les ouvriers finissent par se confondre avec les machines, que c'en est étourdissant. Le bruit constant dans l'usine, la fatigue au labeur, la répétition infinie des mêmes gestes, finissent par abrutir les ouvriers. L'un d'eux se fait happer la main dans une machine. Sa main est broyée.
La journée finie, les ouvriers se réunissent. Ils veulent faire comprendre à leur patron que 14 heures de travail par jour, c'est trop. Ils désignent trois porte-paroles (dont Bernard Blier), une femme et deux hommes. Le directeur les traite par dessus la jambe, leur fait habilement comprendre que pour la patronat c'est difficile. Le lendemain, ils décident de faire une heure de grève, l'un d'eux doit sonner la sirène de départ à l'avance. Le contremaître, garde chiourme hautain qui les surveille, surprend le complot. Tous les ouvriers sont sanctionnés par une amende. Sur les conseils de deux enseignants (François Périer et Marcello Mastroianni), ils font faire grève. Ne plus aller à l'usine, jusqu'à ce qu'on leur accorde une baisse du temps du travail. Et l'annulation de l'amende. C'est toute une organisation qui se met en place, où chacun va aider son prochain, où ils vont faire des provisions pour palier le manque de la paie et refuser de céder aux pressions du patronat.
Le film est particulièrement passionnant dans la description de cette petite société qui cherche à vivre et travailler dignement. Mario Monicelli a l'art de croquer ses personnages tout à la fois vrais et pittoresques. Du militaire qui les aide à l'adolescent illettré, de l'amoureux célibataire à la jeune femme qui a quitté la pauvreté pour vendre ses charmes, du migrant sicilien méprisé au père de famille râleur, chacun est admirablement incarné. C'est avec les patrons que le cinéaste est le plus dur, mépris de classe (la propriétaire de l'usine est ignoble), condescendance pour les pauvres et appât du gain sont leur unique façon de vivre. Il n'est pas tendre non plus avec l'agitateur en chef que joue Marcello Mastroianni, personnage jusqu'au-boutiste qui jette de l'huile sur le feu pour une cause à laquelle il est étrangère. Mais il ne sait faire que cela. La maîtrise du cinéaste est telle qu'on passe du rire au larmes, de la chronique du quotidien à la fable politique, de l'histoire d'amour au suspense pur sans même s'en rendre compte. Du grand art.
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