Lait chaud. Son rouge
Caressons, toi et moi, si tu veux bien, l'évidence : on est face à un grand film. Un de ceux qui traversent les temps, sans bouger. Un de ceux qui sont faits pour éblouir, génération après...
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le 20 mars 2014
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Absolument merveilleux. Je crois que c'est de très loin le meilleur film que j'ai vu sur le processus de création artistique. Évidemment, là comme ça me vient en tête également La la land, et je me suis d'ailleurs beaucoup étonné de ne l'avoir pas plus souvent vu cité comme inspiration de ce dernier. On parle toujours de Demy quand on cause des inspirations de Chazelle, pourquoi ne pas plus souvent mentionner aussi le film de Powell & Pressburger ? Parce que c'est évident que La la land doit énormément à ce film : on y retrouve la même volonté d'illustrer un monde infiniment coloré, on y retrouve des séquences dansées clairement inspirées, et on retrouve cette même thématique de la passion dévorante à laquelle certains estiment devoir dévouer leur existence toute entière en faisant une croix sous tout le reste, y compris et surtout toute relation amoureuse.
Bref, longtemps avant La la land ou Whiplash, Powell & Pressburger exploraient déjà cette notion en mettant en scène à travers le personnage de Lermontov une passion aussi malsaine que fascinante, personnalité redoutable et toxique pour toute sociabilité mais à l'origine d'peuvres plus qu'immenses.
Au-delà de ce thème, Les chaussons rouges a un aspect quasi-documentaire : le film cherche tout autant à explorer ces grands thèmes qu'à nous montrer comment fonctionne un ballet des années 40. J'ai personnellement l'impression en sortant du film de maintenant connaître ce milieu, et le constat qu'il en tire est mitigé, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est là le portrait d'une grande famille aux membres tous pétris d'ego, qui s'aiment sincèrement et cherchent sans cesse à tirer le meilleur d'eux-mêmes et des autres, en les complimentant mais aussi et surtout en les rabaissant en en posant un niveau d'exigences immense. Une grande famille qui présente un aspect quasi-sectaire rendant toute vie sociale personnelle impossible.
À ce titre, la présentation des différents personnages est remarquable. Les scènes d'exposition sont astucieuses, remarquablement efficaces, et nous donnent rapidement des indices sur tout ce qu'on a à savoir : Craster est un jeune impertinent qui en veut, Lermontov est le grand maître entièrement dédié à son art - "fascinating brute" comme le qualifie une femme lors de sa première apparition - et Vicky est une jeune prodige qui ne vit que pour danser. Mais au-delà de ces trois personnages principaux, c'est l'entièreté du ballet qu'on apprend à connaître : la théâtrale danseuse étoile Boronskaïa, le chorégraphe Ljubov, le décorateur-costumier Ratov, le danseur étoile prétentieux, le chef d'orchestre... Qu'il est rare de se souvenir de tant de noms de personnages secondaires en sortant d'un film.
Au-delà de ses thèmes et de sa construction, il faut surtout souligner l'immense mise en scène de Powell & Pressburger. Scorsese estime qu'il s'agit là d'un des plus beaux films en couleur jamais produits, et ces jeux de contraste entre rouges vifs, bleus profonds, jaunes vibrants et noirs intenses ne peuvent que lui donner raison. Au-delà des couleurs, ce sont aussi tous ces gros plans sur les visages des acteurs qui retranscrivent si bien les émotions (Anton Walbrook notamment, impressionnant lorsqu'il joue la contrariété), c'est ce montage dynamique témoin d'un joyeux et étouffant bordel effervescent.
Et surtout, surtout, il y a cette incroyable scène aux deux tiers du film. Le ballet en question.
P&P éclatent toutes conventions et proposent une scène de danse sans aucune parole, d'une audace incroyable, de pas moins de 17 minutes pour nous montrer, pour de vrai, ce ballet des Chaussons rouges. Une scène d'une ambition folle, qui s'avère bien plus que du ballet filmé. Nous collant carrément dans la peau de Vicky, en transe, la mise en scène nous plonge dans le monde qu'elle se construit le temps du ballet, un endroit hors du temps où se produit réellement l'histoire qu'elle incarne sur scène, et où se mêlent le conte et la réalité. Réalisation baroque, jeux de montage et de transparence, effets de lumières... Rien qu'avec ces 17 minutes, on tient un immense film, et elles sont enrobées dans un écrin tout aussi grand. Et dire que les producteurs à l'époque, furieux que P&P ne veuillent pas couper dans ces 17 minutes, refusèrent de faire la promo du film... Un des quelques exemples de manque total de pif de leur part puisque si le film ne marche pas trop en Grande-Bretagne, il se tape un succès monstre aux US, et devient rapidement un des plus grands classiques de tous les temps, inspirant ouvertement certaines des plus grandes comédies musicales US (bien qu'il n'en soit pas une !) des années 50.
Un immense film intemporel.
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Créée
le 22 sept. 2021
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