Scénarisé sous le titre L'uomo e il Bambino (L'homme et l'enfant) et tourné sous celui de Ore Nove Semaforo Rosso (Feu rouge à 9 heures), le seul et unique poliziottesco tourné par Mario Bava s'intitula finalement Cani Arrabbiati (Les chiens enragés) lors de son premier montage. Un montage par ailleurs resté inachevé puisque le producteur fit faillite à ce moment-là et que l’œuvre se vit bloquée par la Brigade Financière italienne.
Durant plus de vingt ans, Lamberto Bava, fils de Mario et assistant-réalisateur du film en question, tenta vainement d'en racheter les droits. C'est par le biais de la comédienne centrale du métrage, Lea Lander, que des droits se débloquèrent enfin depuis l'Allemagne. L'actrice berlinoise ayant participé à la coproduction avec un regard contractuel sur la distribution de l’œuvre dans son pays, elle acquit ainsi le montage inachevé de Bava et tenta de donner corps au film considéré, à l'époque, comme perdu. Grâce aux notes retrouvées du réalisateur, Lea Lander entame alors un travail de finalisation en bouchant les "trous" avec des inserts vidéo, en mixant la postsynchronisation et en insérant la musique de Stelvio Cipriani composée, elle aussi, vingt ans plus tôt. Un travail qu'elle souhaite au plus proche de la vision de Mario Bava jusqu'à ce que le fils de ce dernier clame sa colère à qui veut l'entendre, accusant Lander d'avoir sacrifié Les Chiens Enragés à une postproduction au rabais. Cette version fut néanmoins projetée dans divers festivals à partir de 1996 et diffusée dans le cadre de la mythique émission Quartier Interdit, animée par l'excellent Jean-Pierre Dionnet.
Au début des années 2000, le producteur Alfredo Leone acquiert à son tour les droits du métrage, achetés selon lui "pour une bouchée de pain" à Lea Lander. De ce fait, Lamberto Bava peut enfin se pencher sur le métrage de son défunt père pour lui offrir l'éclat qu'il mérite. Malheureusement, Bava Jr. et Leone dénaturent littéralement le projet en tournant de nouvelles scènes de raccord, postsynchronisant l'intégralité du film en anglais afin de mieux le vendre aux États-Unis, métamorphosant aussi la géniale B.O originale pour un score électronique moins typé seventies. Retitré Kidnapped pour le marché américain, la version des Chiens Enragés revue et corrigée par Lamberto Bava et Alfredo Leone ne convaincra personne.
Reste heureusement la copie travaillée par Lea Lander qui propose la vision la plus proche de son créateur. Un récit en temps réel ultra réaliste, implacablement dur, violent, sauvage et nihiliste. Une œuvre ne renouant en rien avec le baroque ayant édifié la réputation de Mario Bava, échaudé à cette époque par la catastrophique destinée de Lisa Et Le diable, son précédent film.
Véritable road-movie filmé en plein mois d'août sous une température avoisinant les 38°, les trente jours de tournage des Chiens Enragés furent visiblement accablants pour le casting comme pour l'équipe technique, à cran et en sueur tout au long du périple. Avec parfois un peu trop de surjeu, voire de cabotinage, de la part de l'ensemble de la distribution (et cela se comprend quand on connaît les difficiles conditions de tournage), seul l'extraordinaire Riccardo Cucciolla conserve une remarquable justesse de composition. Et cela sans compter sur la chute finale, digne du meilleur scénario rédigé par Rod Serling.
Caniculaire et féroce (même si relativement inachevé), Les Chiens Enragés reste un métrage indéniablement à part dans la filmographie de Mario Bava. Une œuvre isolée, certes, mais terriblement marquante et diablement bien réalisée.