Eh bien, en voilà un Ghibli qui se traîne une belle réputation de merde. Gorō Miyazaki, totalement écrasé par l'ombre de sa légende de père, à qui on a confié un bébé bien trop gros pour lui.
Oui, assurément, le bébé était bien trop gros pour lui, cela ne fait aucun doute. Et ce qui fait aucun doute aussi, c'est qu'avec des sujets nettement plus modestes, d'une moins grande ampleur, le fiston est tout à fait capable de s'en sortir. Pour preuve, La Colline aux coquelicots, son deuxième long-métrage, sans compter parmi les œuvres majeures de Ghibli, est un film d'animation très plaisant à regarder.
Pour en revenir à l'œuvre critiquée, du point de vue visuel et sonore, animation, décors, musique, etc. Les Contes de Terremer est réussie. On voit bien que le réalisateur a été à très bonne école pour cela. Conséquence, les séquences de l'ensemble sont impeccablement mises en scène. Je n'ai aucun reproche à faire en ce qui concerne tout cela, que des compliments.
Non, là où ça cloche très sérieusement, c'est dans l'écriture.
Attention, je vais avancer une hypothèse qui est peut-être une connerie, mais je l’émets parce qu'elle me paraît être la plus plausible. Je ne connais absolument pas l'univers de fantasy d'Ursula K. Le Guin, mais je pense que celui-ci doit être tellement riche et tellement étendu qu'il était impossible de l'adapter en seulement deux heures. Deux ou trois films ou, mieux encore, un animé aurai(en)t été certainement bien plus idéal(s) pour donner quelque chose de bon, pour laisser tout le temps à ce monde merveilleux de s'exprimer.
Pour moi, donc, Gorō Miyazaki partait déjà avec un sérieux handicap, que l'inexpérience n'a pas dû arranger, et ne pouvait que se casser la gueule.
Le film éparpille les thématiques sans jamais les exploiter jusqu'au bout. Les dragons qui apparaissent avec fracas au début ? Ils auraient pu aussi bien ne pas être là, cela n'aurait pas fait de différence parce que l'on ne comprend pas ce qu'ils viennent foutre là. Pareil pour les esclaves, on les voit apparaître deux-trois fois dans le premier tiers, sans personnalité, tel un troupeau. Par la suite, on ne sait pas à quoi ils servent, ce qu'ils deviennent. Le côté "Docteur Jekyll et Mister Hyde" du protagoniste, qui aurait pu donner quelque chose de bon dans la dualité entre le Bien et le Mal, n'apparaît que de temps en temps, au petit bonheur la chance, sans aucune cohérence. Les pouvoirs magiques de la jeune fille qui sortent, eux aussi, de nulle part.
Les personnages ne sont pas terribles non plus, car on n'a pas le temps de bien les creuser (ce qui est lié en partie au problème des thématiques aussi, bien sûr !). L'exemple le plus choquant, le personnage féminin déteste le protagoniste dans un premier temps, pour des raisons obscures. Un moment, elle dit un truc du genre "oh, je te déteste, car tu ne respectes pas la vie". Euh, qu'est-ce qu'elle en sait ? En plus, il l'a sauvée auparavant. Bon, admettons, qu'elle déteste le fait que l'on ne respecte pas la vie, qu'elle déteste la violence dans toutes ses formes (ce qui fait qu'elle pourrait ne pas avoir apprécié de voir le protagoniste foutre une dérouillée à deux hommes de main, même pour la sauver !). D'accord, admettons, c'est con, mais admettons… Mais, deux minutes et une chanson plus tard, dialogues entre les deux personnages, "tu sais que j'ai tué mon père", "c'était un sale con ?", "non, un brave type", "Euh, OK"... WTF ? Quelqu'un pourrait m'expliquer où est la cohérence dans la réaction de la jeune fille ? Elle devrait le détester encore plus après cet aveu au lieu d'être prête à tomber d'un coup, sans véritable explication, dans ses bras.
Bref, à force de vouloir aborder un nombre incalculable de thématiques, ce film parvient à rien si ce n'est qu'à l'incohérence la plus totale.
C'est dommage, car il y avait des ingrédients qui promettaient d'être bons. Je pense en particulier à la grande antagoniste, très fascinante, très charismatique, car séduisante d'apparence, une extrême cruauté cachée derrière une façade calme et polie (caractéristiques peu habituelles pour un méchant !). Franchement, j'aurais bien voulu avoir le temps la connaître dans toute sa complexité, dans toute son histoire (notamment sa relation avec son grand ennemi, le sorcier qui aide le héros !), mais le gros défaut du film fait évidemment que c'est désespérément bâclé.
En gros, avec tout ça, Ursula K. Le Guin a été déçue, Miyazaki père l'a été aussi, le spectateur ne pouvait que l'être.