Quelle claque ! L’œuvre est démente, stupéfiante, étouffante et l'on en sort fourbu, épuisé par tant d'hystérie. Basé sur la pièce éponyme créée par John Whiting et le livre Les Diables De Loudun rédigé par Aldous Huxley, le cinéaste Ken Russell s'est attelé en solo à l'écriture du scénario qu'il va lui-même mettre en scène et coproduire aux côtés de Robert H. Solo pour un résultat édifiant.

L'histoire ?... Celle, véridique, d'Urbain Grandier, jeune prêtre jésuite formé à Bordeaux au XVIIe siècle et dont l'esprit de tolérance et les idées modernes choquent littéralement la bourgeoisie catholique d'alors. Nommé dans la ville fortifiée de Loudun, sa réputation sulfureuse de beau gosse passionné par les femmes met en émoi les religieuses d'un couvent d'Ursulines et trouble au plus haut point les sens de la mère supérieure, Jeanne des Anges, sexuellement frustrée et cruellement sadique. Fantasmant sur le jeune ecclésiastique, elle lui formule la demande d'être le confesseur officiel du couvent. Par manque de temps, Grandier envoie un autre prêtre. Désarroi, colère et frustration se décuplent alors chez la mère supérieure, désormais habitée par un hystérique désir de vengeance. Sur fond de guerre des religions à une époque où la peste ravage la France, complots politiques et cléricaux se forgent pour l'acquisition du pouvoir absolu et Grandier, au centre d'un indéfinissable chaos, se voit accusé de sorcellerie...

Grandier, c'est l'immense Oliver Reed qui trouve ici LE rôle de sa carrière. Jeanne des Anges, c'est l'incroyable Vanessa Redgrave, en perpétuel équilibre sur le fil du ridicule sans ne jamais vaciller un seul instant dans le risible. La jeune comédienne est proprement possédée par son personnage atteint d'une malformation osseuse lui procurant l'aspect du Christ crucifié, la tête constamment penchée. Ses ricanements et ses sarcasmes sont aussi détestables que respectables pour les nonnes qu'elle ordonne avec perversité. Une perversité omniprésente qui inonde par ailleurs tout le métrage au sein d'une flamboyante pestilence.

Car au-delà de l'hystérie anticléricale, Russell démontre surtout la diabolisation des complots fomentés par les puissants. À l'instar de Bertrand Tavernier avec son excellent Que La Fête Commence..., Russell s'applique à démontrer comment l'Église catholique, sous la régence ici du cardinal Richelieu, ministre de Louis XIII, cherche à anéantir toute tolérance envers les protestants octroyée par Grandier à Loudun. Dans les livres d'Histoire, il est bel et bien mentionné que Richelieu a inévitablement eu gain de cause en utilisant à son profit le scandale qui causa la perte de Grandier. Ce complot, Russell le met en scène avec passion et tout le talent qu'on lui connaît. Des rêveries blasphématoires auxquelles se livre Jeanne des Anges à la luxure à laquelle s'adonne Grandier, des décors baroques hallucinants de la ville fortifiée à ceux, d'un blanc aveuglant, qui constituent l'antre du couvent ressemblant à s'y méprendre à celui d'un hôpital psychiatrique, de la cour de Louis XIII, précurseuse de la scène drag queen où le roi s'adonne sans vergogne à la pédophilie homosexuelle, aux traitements barbares mortellement infligés aux protestants par les catholiques, Russell n'y va pas par quatre chemins pour démontrer la folie qui régnait réellement en 1634 dans notre pays.

Et on ne peut que vibrer d'admiration face à une telle reconstitution historique invisible dans les programmes scolaires et dont les détails, aussi lubriques que primitifs, ont été rapportés par l'historien Jules Michelet dans l'un des chapitres de son passionnant essai intitulé La Sorcière, paru en 1862. Près de 100 ans plus tard, le cinéaste polonais Jerzy Kawalerowicz adaptera (très) librement l'histoire de Jeanne des Anges dans Mère Jeanne Des Anges, qui paraît-il, scandalisa le public du 14e Festival de Cannes mais remporta, néanmoins, le Prix Spécial du Jury.

52 ans après sa sortie, Les Diables reste un film magnifiquement fou et sublimement servi par tous ses interprètes. Une œuvre diaboliquement perverse qui propose un voyage affligeant aux confins d'une des innombrables facettes de l'être humain. Une vraie claque !

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le 3 nov. 2023

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