Toute la nature du film tient à quelque chose d'anormale qui vient entacher le bon déroulement de l'intrigue. La femme, le mari, l'amante, une évidence. Et pourtant le schéma narratif attendu est rapidement remis en cause.
Ce seront les deux femmes qui mettront leur plan d'élimination du mari à exécution.
Dans une première partie plutôt conventionnelle qui dresse le portrait de tous les protagonistes de cette France d'après-guerre avec ses institutions rigoureuses, l'auteur du Corbeau tisse une toile faite d'évidences récalcitrantes que l'on pourrait définir comme logique. Le personnage de Paul Meurisse est montré pour ce qu'il est. Le renard dans le poulailler, celui qui fait dérailler le train, qui doit disparaître pour que tout fonctionne à merveille, le monstre en quelque sorte. Tellement détestable que même l'évidence de l'intrigue est rapidement remise en cause. Un couple, une seconde femme, la logique narrative voudrait que l'épouse soit la victime, d'autant plus qu'elle incarne la pureté et la naïveté et que le personnage de Simone Signoret, qui rentre rapidement dans le cadre comme l'incarnation de la femme sûre d'elle et décidée, la femme-fatale blonde du film-noir, semble d'évidence comme celle qui est au centre des turpitudes. Tout cela ne sera bien sûr tenu que par des ficelles usées et prêtes à céder qui feront basculer l'intrigue vers l'incertitude jusqu'à perdre le spectateur.
Tout le cinéma de Clouzot est là, cette façon d'amener l'auditoire dans un maelström d'impressions et de contradictions qui finissent par le perdre.
Esthétiquement on est dans l’expressionnisme à la Murnau, avec ces jeux d'ombres et ces artifices visuels empruntés au cinéma gothique. La présence de cette piscine aux eaux saumâtre comme vecteur de contamination, d'ailleurs on comprend après coup cette image trouble et sale qui compose le générique dont on se demande ce qu'elle peut bien représenter, vient entacher l'immaculée représentation de l'institution que représente cette école.
Pendant tout le film on est conforté par l'évidence du récit jusqu'à ce que la révélation finale, portée par la parole d'un enfant, la vérité Clouzotienne la ferait-elle sortir de leur bouche...?, vient achever le bon sens cartésien rassurant pour faire entrer le film dans une dimension fantasmagorique du cinéma horrifique dont il ne cesse d'emprunter les apparences.
Si l'on pouvait rapprocher ce cinéaste d'un autre réalisateur, ce serait incontestablement d'Alfred Hitchcock et de sa science des impressions et du doute constant avec lesquels il parsème ces œuvres. D'ailleurs on peut mettre en parallèle la scène de la baignoire dans Les Diaboliques et celle de la douche dans le Psychose d'Hitchcock dont ce dernier s'est peut-être inspiré pour sa fameuse scène de crime. Tous les deux ont d’ailleurs adapté Boileau et Narcejac dont ce film est tiré, Hitchcock avec Vertigo en fera de même.
Doit-on conclure en disant que Clouzot est le Hitchcock français ? Ou inversement. Même s'il apparaît que tous les deux s'intéressent au mécanisme de la peur et aux sources du mal, ils possèdent bien évidemment chacun leur propre style et il serait réducteur d'enlever le mérite à l'un pour l'attribuer à l'autre.
Quoi qu'il en soit, Les Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot demeure encore aujourd'hui comme l'un des sommets du thriller gothique français et un modèle indémodable d'exemple à suivre pour tout cinéaste s'intéressant au genre.