Il est toujours compliqué lorsqu’une forme est irréprochable mais que le fond pose un problème d’ordre moral. Dans Les Dragueurs, Jean-Pierre Mocky utilise sa caméra avec volupté, avec la même précision qu’un romancier sa plume. Je prend l’exemple du travelling en plan-séquence qui sert à la fois de générique et d’introduction au film. Il permet d’inclure le film dans le réel, puisqu’il montre le déplacement des personnages en temps réel dans la ville de Paris. Il sert également à caractériser l’environnement de Freddy (Jacques Charrier) qui est entouré de harceleurs sexuels (on pourrait même initialement penser qu’il n’en est pas un lui-même puisqu’il laisse une distance entre lui et ses amis [qu’on ne reverra d’ailleurs pas de tout le film]). On pourrait aussi parler de la séquence de bagarre dans le cabaret qui se sert du montage pour faire ressentir chacun des coups violemment, ou de la scène qui se sert d’un travelling compensé pour se concentrer sur une femme qui se transforme visiblement en “proie” aux yeux de Freddy. À notre époque, il est difficile de ne pas être mal-à-l’aise quant au regard que tous les hommes portent sur les femmes dans ce film : Le mot de “dragueur” est en fait un doux euphémisme pour parler de “harceleur”. Ils ne s’intéressent à elles que pour obtenir leur faveur, et tout le film est une traversée de Paris de nuit à la recherche de femmes qu’ils veulent en fait en tant qu’objets ou trophées. Les dessins de femmes dans la chambre donnent la tonalité du film instantanément : Freddy n'aime pas les femmes, il n’aime que leur image.

Mocky a au moins le mérite de réussir à donner une personnalité à chacun de ses personnages, la jeune adolescente (Véronique Nordey) qui rêverait de découvrir les choses de l’amour et qui se perd dans un monde d’adulte qui ne lui veulent pas de bien, Ghislaine (Belinda Lee) est une femme que les mondanités ont aliéné, Jeanne (Anouk Aimée) est le personnage le plus touchant du film puisqu’un handicap à la jambe lui ont fait perdre espoir en l’amour, Dadou (Dany Carrel) et Sylviane (Estella Blain) en duo d’amie aux antipodes l’une de l’autre, les deux suédoises qui changent de personnalité au cours du voyage et que Freddy et Joseph s’amusent à perdre dans une ville qu’elles ne connaissent pas, etc… Freddy et Joseph (Charles Aznavour) sont en réalité des couards, au début du film, ils suivent deux femmes dans la rue et s’enfuient quand ils découvrent qu’elles font du judo. Le monde de la nuit est effrayant, ces hommes rodant à la recherche de femmes, comme des vampires, m’ont mis sincèrement mal à l’aise. Le cabaret dans lequel le film se fini est la réunion de toute la débauche et les vices possibles : ivresse, viol, humiliation… Alors que Joseph semble trouver l’amour (pour ce que ça vaut…) à la fin du film, Freddy reprend sa voiture et poursuit sa quête insatiable.

06/08/2023

Don-Droogie
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films de la Nouvelle Vague et Vus en 2023

Créée

le 6 août 2023

Critique lue 31 fois

Don Droogie

Écrit par

Critique lue 31 fois

D'autres avis sur Les Dragueurs

Les Dragueurs
Boubakar
7

Les débuts de Jean-Pierre Mocky

Après un faux départ (il devait réaliser Les yeux sans visage), Jean-Pierre Mocky tourne le premier de sa large filmographie en parlant d'un sujet très novateur à l'époque, la drague. On suit deux...

le 16 juin 2014

6 j'aime

3

Les Dragueurs
JanosValuska
5

Femmes, femmes.

C’est fou comme Les dragueurs, le tout premier film de Jean-Pierre Mocky, ressemble moins à un film de Mocky qu’à un Chabrol première période (Les cousins, Le beau Serge). Le film s’inscrit pile dans...

le 10 mai 2023

4 j'aime

Les Dragueurs
JimAriz
8

Critique de Les Dragueurs par JimAriz

Le premier film de Jean-Pierre Mocky est une bouffée de fraîcheur. Paris. Le quotidien de deux jeunes hommes qui draguent dans les rues de la capitale. L'un est timide, l'autre est sûr de lui. Qui...

le 10 avr. 2013

4 j'aime

Du même critique

Camping du Lac
Don-Droogie
8

LES CARTES POSTALES PASTEL, OU, LA PASSION POUR LE POISSON

C’est par hasard que je suis allé voir Camping du Lac d’Eléonore Saintagnan. Je n’en attendais donc absolument rien. Je me suis retrouvé là, seul dans la salle de cinéma, et j’ai d’abord trouvé cela...

le 17 sept. 2024

5 j'aime

Asteroid City
Don-Droogie
5

IL N’Y A PAS QUE LA VILLE QUI EST DÉSERTE, LE FILM AUSSI

Cette histoire de soucoupe volante me passe totalement au-dessus de la tête. Tout le monde le reconnaît, et je l’ai tout de suite défendu en voyant ses autres films, Wes Anderson a une identité...

le 5 août 2023

5 j'aime

Nobue’s Sea
Don-Droogie
10

Pourquoi pleus-je ?

Nobue Kawana était une jeune fille bourrée de talent. A l'âge de 16, son ami Keiko Saitou et elle se rencontrent. Keiko passe son temps chez elle, et ensemble ils jouent de la musique qu'ils...

le 11 déc. 2020

5 j'aime

4