Le cas William Wellman est un sujet triplement intéressant. Pas obligatoirement autant cité que ses contemporains que furent les John Ford, Raoul Walsh, Howard Hawks ou King Vidor, il n’en demeure pas moins un réalisateur de grande qualité. Je serais même tenté de dire qu’il représente une sorte de synthèse cinématographiquement parlant, des quatre auteurs cité plus haut. Il a signé des western de très haut niveau, dont les fameux The Ox-Bow Incident (L’Etrange Incident), Westward The Women (Convoi de Femmes) et l’extraordinaire Yellow Sky (La Ville Abandonnée) qui représente à mes yeux la quintessence du sur-western pour employer une terminologie chère à André Bazin. Dans le domaine du film de guerre, il n’est pas en reste, étant le réalisateur du chef d’œuvre Story Of G.I. Joe (Les Forçats de la Gloire), qui contrairement à ce que son titre peut faire croire, est tout sauf un film propagandiste, mais une très forte dénonciation, appuyée par des propos solides, de l'acte de guerre, qui anticipe la vision qu’ont pu avoir plus tard un Samuel Fuller ou un Stanley Kubrick sur cette thématique. Très peu cité, au détriment des autres géants qu’étaient Ford, Walsh et Hawks, il peu pourtant très aisément rentrer dans la catégorie des auteurs importants du cinéma Hollywoodien classique. Voilà, c’était une petite parabole en forme de tentative de réhabilitation de ce très grand réalisateur.
Venons-en maintenant au film en question. Wild Boys Of The Road, un titre très parlant. Des jeunes gens en colère qui se retrouvent à prendre la route pour échapper à leur quotidien et tenter de trouver l’Eldorado en cette période trouble de la grande dépression. Ils sont les fameux hobos immortalisés par les splendides photographies de Dorothea Lange. Les laisser pour compte d’un système financier qui jeta des milliers de gens sans emploi sur les routes américaines. En quête d’un rêve inaccessible consistant à vivre et pouvoir faire vivre décemment leur famille. Les grandes œuvres littéraires de John Steinbeck et Erskine Caldwell témoignèrent de cette période trouble avec un grand succès qui eut le mérite d’éveiller les consciences.
Cinématographiquement parlant, on est dans la fameuse période dite du pré-code, référence au fameux code de « déontologie » établi par le sénateur William Hays pour couper les ponts aux auteurs qui avaient des choses à dire. En cette période faste du cinéma Hollywoodien où la liberté artistique avait encore cours, les réalisateurs avaient tendance à se lâcher et balancer du lourd. C’est absolument le cas dans ce film. La scène d’intro montrant quelques mains au panier très tendancieuses et une violence visuelle très surprenante et saisissante pour l’époque, qui viendra parsemer le film. Filmé sèchement et sans compromis. Ici on ne glorifie pas la puissante Amérique et son patriotisme exacerbé, et on ne lésine pas sur les moyens.
Le jeu de la petite bande de gamins est d’une telle spontanéité que ça donne un réalisme saisissant à leurs actes. Ils sautent de train en train, tentant d’échapper aux fameux redresseurs de torts que les compagnies engagées pour molester centaines de voyageurs clandestins qui se déplaçaient à travers le grand territoire américain en prenant les trains en marche. La mise en scène de Wellman est comme à son habitude d’une grande vitalité, on peut dire qu’il sait faire vivre un plan, une scène, et accommoder son récit de belles scènes montrant les splendides paysages à perte de vue de ce territoire sans horizon avec une grande maestria. Traiter avec une remarquable lucidité, le sujet n’est pas balancé maladroitement, et l’auteur sait parfaitement émouvoir, je pense notamment à la scène montrant le gamin ayant perdu une jambe, tenter de se déplacer le plus vite possible juste pour pouvoir accrocher le prochain wagon, sans jamais sombrer dans le pathos émotionnel. Les images se suffisent à elles-mêmes. Et le jeu remarquable de ce casting de jeunes gens composé d’acteurs pas connus, plus quelques seconds rôles comme Ward Bond ou Sterling Holloway venus faire de la figuration, rend d’autant plus crédible ce constat implacable d’une chute des valeurs prônés par une société en pleine déliquescence. Un beau témoignage par un très grand réalisateur.