Synopsis : Carl Morck et Assad fêtent la création officielle du département V, chargé de résoudre les affaires laissées en suspens depuis des années. Des circonstances tragiques vont les faire réexaminer une affaire de viol et de meurtre qui avait pourtant trouvé un coupable.
Ils vont devoir creuser plus en avant dans le passé, s'ils veulent trouver la vérité.
Association de bienfaiteurs
Comme son nom complet l'indique, Profanation fait partie d'une série : Les enquêtes du département V. On trouve derrière ce titre une belle réunion de ce qui fait le cinéma commercial Danois. Il s'agit tout d'abord d'une adaptation des romans de Jussi Adler-Olsen, dont les six déjà parus sont de gros succès de librairie. On trouve ensuite à la tête du projet deux noms relativement familiers : Mikkel Norgaard et Nikolaj Arcel. Le premier, réalisateur des deux premiers films, nous est connu par la série Borgen (dont on retrouve aussi l'acteur Pilou Asbaek) tandis que le second, scénariste et futur réalisateur du troisième épisode : Délivrance a réalisé le très remarqué Royal Affair et écrit l'adaptation des deux premiers tomes de Millenium.
Si l'on étend l'analyse au casting et à l'équipe technique, on croise des noms familiers des amateurs de cinéma et de série scandinave : The Killing pour l'acteur principal Nikolaj Lie Kaas, Millenium pour le chef opérateur Eric Kress, ou encore Morse pour les compositeurs Johan Söderqvist et Uno Helmersson.
Pourquoi vous dire tout cela : si nous sommes naturellement plus au fait du cinéma hexagonal et anglo-saxon, les deux premiers volets des Enquêtes du département V ont été de vrais succès populaires dans leur pays d'origine, disputant au Hobbit de Peter Jackson le titre de champion du box-office. Bien que le film soit produit par Zentropa, ce n'est donc pas le Danemark du cinéma d'auteur de Lars Von Trier, Thomas Vinterberg ou Susanne Bier, mais le représentant de ce que l'on appelle généralement le polar nordique.
Quelque chose de pourri au royaume de Danemark
Pour faire un bon polar, spécialement nordique il faut :
- Un enquêteur désabusé
- un crime horrible
- des adversaires puissants
Purification possède ces trois éléments. Les enquêteurs tout d'abord. Comme il s'agit d'un deuxième volet (le premier, Miséricorde est sorti directement en V.O.D. comme on vous l'a expliqué ici), ils ne nous sont pas présentés à nouveau, mais on comprend instinctivement qui est qui. Dans ce volet apparaît un personnage assez important des romans en la personne de Rose, la secrétaire du duo Carl Morck et Assad. Sympathique, au caractère égal et efficace, elle est un appui solide pour le pauvre Assad, perdu face à la mauvaise humeur de Carl. Ce trio fonctionne bien : Carl est le moteur de l'action, irascible mais attiré par la vérité comme le papillon par la lumière, Assad tente de le calmer quand il va trop loin et est celui qui comprend les sentiments des autres, tandis que Rose tente de faire le joint entre les autres en préparant un café de bonne qualité, et préparant les dossiers pour les enquêteurs.
Evidemment, le personnage de Carl Morck est celui qui ressort le plus dans l'histoire : il vit une vie de fantôme, étranger à son fils comme à lui même, mais son humanité se révèle dans sa volonté de rendre justice aux victimes, quoi qu'il en coûte. Tel Columbo, il incarne cette figure d'enquêteur que personne ne prend au sérieux, qui ennuie tout le monde, mais qui finit par trouver et prouver l'identité du coupable.
Un crime horrible : un frère et une sœur assassiné, la femme violée auparavant, qui ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Reprenant le travail d'un enquêteur opiniâtre, nos héros vont faire le lien entre cette affaire et de nombreuses agressions ayant eu lieu dans la région. Polar nordique oblige, on retrouvera la fameuse cache secrète de l'un des tueurs, où se côtoie accessoires sadomasochistes et trophées pris aux victimes.
Des adversaires puissants : l'intérêt de Profanation ne tient pas à la présence de nombreux twists qui, comme dans Gone Girl, changeraient constamment la perception que nous avons des événements. Si les coupables sont très vite connus, la question est de savoir comment le héros va réussir à les arrêter. Ils appartiennent en effet aux plus hautes sphères de l'Etat, et jouent de toute leur influence pour empêcher Carl Morck de les atteindre. On retrouve le thème des élites corrompues des hommes qui n'aimaient pas les femmes, et là aussi le héros va devoir jouer de ruse et d'opiniâtreté pour renverser le rapport de puissance.
Froids dossiers
Si Profanation ne brille pas particulièrement par son originalité ou son suspens en matière d'intrigue, sa construction et les personnages qu'il dépeint le sont déjà plus.
En effet, comme dans la série Cold Case, les témoignages sur le passé amènent à de nombreux flashbacks, au centre desquels on trouve le deuxième personnage principal du film, le principal témoin recherchée aussi bien par Carl Morck que par le coupable : Kimmie.
Ancienne élève d'une école privée élitiste, elle apparaît comme asocial mais peu dangereuse. Sa relation avec le beau et riche Ditlev Pram, loin de la civiliser, va exacerber ses mauvais penchants jusqu'à l'amener à se briser physiquement et moralement.
Devenue sans domicile fixe dans le temps présent, elle n'en est pas pour autant dénuée de ressource et ne se contente pas d'être une proie sans défense. Elle joue ainsi un rôle pivot par sa double relation à Ditlev et Carl : manipulée par Ditlev, elle cherche à se venger, recherchée par Carl, elle refuse d'être sauvée.
Ainsi, l'intrigue ne consiste pas tellement en la recherche d'un coupable qu'en la compréhension du passé : cette profanation ressemble à une psychanalyse brutale, où l'enquêteur tente de comprendre l'événement brutal qui a brisé la vie d'une jeune femme qui avait les cartes en main pour réussir sa vie. Pour autant, la comparaison de Mikkel Norgaard du couple Ditlev / Kimmie et Roméo / Juliette dans le dossier de presse paraît déplacée : si l'évolution des deux est tragique, Kimmie est largement responsable du mal qui lui est arrivée et les deux amoureux sont plus proches de Mickey et Mallory Knox, le couple de Tueurs nés.
Cette ambiguïté est ce qui rend le film intéressant : si l'on a naturellement tendance à plaindre ce personnage qui a vécu toute sa vie dans le remords, ses actions passées et présentes en font d'elle aussi bien une victime qu'un bourreau.
Un polar solide
Les enquêtes du département V : Profanation est un film qui laisse une impression étrange : tout y est fait pour plaire, et pourtant l'on éprouve quelques réticences. L'intrigue est solide et avance bien, mais elle est dénuée de suspens, ce qui est assez embêtant pour un thriller. La réalisation est solide avec de belles images, mais on a toujours cette impression de personnages qui refusent d'allumer la lumière chez eux afin que l'on ressente la noirceur de l'intrigue. Le personnage de Kimmie est fouillé et intéressant mais les autres sont assez creux.
Pour autant, on prend un réel plaisir à suivre les aventures de Carl Morck et Assad, et, comme pour une série TV de luxe, on a envie de les retrouver pour une autre de leurs enquêtes en sortant de la salle. Et tiens, justement, Miséricorde est disponible en VOD. Après tout, c'est la raison pour laquelle David Fincher voulait adapter Millénium : mener une franchise de polars destinés à des adultes : peut-être s'est-il simplement trompé de polar nordique à adapter.
Critique publiée sur CinéSériesMag où vous pourrez aussi trouver un mini-dossier sur l'e-cinema de wild-bunch et la critique du premier volet : Misericorde.