Un « film noir » singapourien, à de nombreux égards inclassable, qui fut primé à Locarno en 2018. C’est du Wong Kar Wai mais avec du génie, du Bi Gan mais avec de la structure et de la consistance. Il dure 1h 30 et contient à peu près autant de cinéma qu’un film de cette durée peut en contenir.
Le cinéaste, Siew Yua Heo, possède « l’œil », de cela on peut être assuré dès les premières minutes du film. La vision qui dirige la caméra produit de l’atmosphère sans forcer, avec l’aide d’un montage très satisfaisant de maîtrise discrète.
Mais c’est véritablement du côté du scénario que Les Étendues imaginaires se révèle un film d’une haute cinématographie ; à la fois aux prises avec le contemporain (les conditions de travail des ouvriers immigrés à Singapour et les abus dont ils sont victimes, l’extension du territoire de l’île par la construction de terrepleins…) et sachant s’en échapper avec une légèreté, une adresse qui forcent le respect, tout simplement. Les deux pôles du récit s’entrelacent, s’attirent et se repoussent successivement avec un naturel désarmant.
On ne sait pas trop en fin de compte ce que l’on vient de voir, mais qu’importe : ce voyage immobile possède en lui toutes les qualités d’un film puissant, dont le sens s’impose à nous sans qu’il n’y ait besoin de réfléchir. Bravo M. Heo !