D'abord il y a ce patronyme marmonné en boucle dès l'ouverture, Dedalus, suivi plus tard par ces autres qui hantent la filmographie de Desplechin : les Vuillard, Esther, Sylvia, Ivan, Ismaël... Autant de noms familiers que l'on retrouve de film en film depuis plus de vingt ans, des personnages évoqués ou incarnés par les acteurs de ce qui est devenu au fil du temps une famille de cinéma, comme une mythologie qui se poursuivrait tout en se réinventant en permanence.
Puis il y a l'écriture de Desplechin, précieuse pour sa valeur mais aussi pour son style, avec ses dialogues très littéraires qui continuent d'en dérouter beaucoup et les empêche d'accéder à l'émotion - je ne fais pas partie de ceux-là, buvant comme une influence la plume du scénariste-réalisateur depuis le choc Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) et, pour ne citer qu'elle, cette scène que je considère comme culte où l'on entend : "Elle est vachement genre pieds, en fait, pour être clair".
Enfin, il y a les acteurs, toujours magnifiés chez Desplechin (pour dire : c'est la première fois que je trouve du charme à Charlotte Gainsbourg !) : Amalric, sur le fil, la voix chevrotante, artiste en perdition chahuté entre deux amours, et Cotillard... Plutôt que d'aller se frotter à des blockbusters américains qui lui valent des critiques et des moqueries souvent justifiées, notre Marion internationale ferait mieux de se cantonner aux productions hexagonales, qui lui offrent décidément ses meilleurs rôles : après s'être récemment montrée irrésistible de drôlerie dans le Rock n' Roll de son mari, elle incarne ici magnifiquement la figure de l'obsession douloureuse, sublime et bouleversante en fantôme tragique, innocent, cruel et fragile.
La partition folle et intense de ce triangle amoureux est ce qui constitue le cœur fascinant, hypnotique, angoissant de ce film qui vibre et émeut par sa profonde mélancolie mortifère.
Dans un jeu de mise en abyme multiple, puisqu'il inclue non seulement le film dans le film (que l'on regarde) mais aussi les films dans le film (pour les références permanentes aux œuvres précédentes de Desplechin ainsi qu'à ses références), le réalisateur s'égare un peu lors de parenthèses récurrentes autour d'une histoire d'espionnage beaucoup moins intéressante et assez absconse, qui lui permettent toutefois de basculer enfin, comme il aime à le faire, dans le registre savoureux de la comédie presque gaguesque sur fond de dépression hystérisante.
L'on retiendra essentiellement, et durablement, la rencontre si violente et les mots si particuliers et si beaux de ces trois personnages en prise avec les spectres des sentiments.