C'est un film qui est à appréhender avec beaucoup d'attention. D'apparence, il donne l'impression d'être une expérience cinémato-tragique, alors qu'en le regardant attentivement, c'est loin d'être le cas.

Le film d'Arnaud Desplechin oscille entre le drama et le fantastique, grâce à la drôlerie notamment, et on ne se sait jamais vraiment - et ce n'est jamais montré - pourquoi ou comment perçoit l'écrivain (Mathieu Amalric) le retour si improbable de son épouse (Marion Cotillard) qu'il n'a plus vu depuis 21 ans, 8 mois et 6 jours.

Si l'on se met à bien regarder certaines des scènes qui vont suivre, notamment lorsque Ismaël se met à parler tout seul - à la différence de réfléchir à haute-voix - tout en tournant en rond dans sa maison, on se dirait presque que l'on a à faire ici à quelqu'un de "dérangé", d'autant plus qu'il comble son chagrin avec de l'alcool mais pas de psychotropes.

Ce n'est pas le cas. Et au fur et à mesure on peut éprouver de l'empathie à son égard et donc comprendre son état d'être. Mathieu Amalric ne joue pas un homme perturbé mentalement et ses habitudes d'ivrogne ne sont que le le reflet d'une autodestruction ; il tient en compte ses proches et globalement son entourage et y prend soin. Mais c'est en quelques sortes un homme marqué ce terrible évènement qui est la disparition brutale de sa femme et qui plus est sans avoir pu jusque-là en faire un quelquonque dueil. La vie qu'il mène est fortement marquée par ses cauchemards, plus ou moins éveillé d'ailleurs. Il est loin d'une vivre une vie comme il le voudrait alors que pourtant tout lui réussi et y compris professionnellement car il est écrivain professionnel. C'est tout l'inverse qu'il va bientôt connaître après sa rencontre innopinée avec Sylvia.

Sylvia, interprétée par la très atypique Charlotte Gainsbourg, arrive dans sa vie et c'est là que tout change. On remarque rapidement une nette évolution chez Ismaël et c'est un peu après que Carlotta refait son apparition.


L'ensemble mérite une attention adéquate à son appréhension et est le résultat d'un travail cinématographique d'équiilibriste entre les situations surréalistes tellement que c'est grossier, grâce à un savant mélange entre étrangeté et pragmatisme. Je pense qu'il est important de bien tendre l'oreille lorsque les trois protagonistes réagissent ensemble pour pouvoir bien ressentir ce très délicat mais aussi périlleux équilibre de surréalisme. Par exemple, la venue de Carlotta sur directement la plage peut effectivement procurer un choc, surtout lorsque le titre s'intitule "Fantômes de" mais le scénario est suffisamment bien clair pour comprendre que l'on n'est pas en train de regarder les hallucinations ou délires d'Ismaël ; lui, est justement en train de vivre un second souffle depuis peu en compagnie de Sylvia. Quant à elle, elle est manifestement bouleversée tandis que pour Carlotta cela lui semble une parfaite evidence de retrouver son mari car à présent elle est sûre et certaine de ce qu'elle éprouve. Les "tu as vieillis" et autres "je te plais quand-même" font partie les répliques si atypiques du film et donnent constamment le sentiment d'osciller entre le surréalisme tant c'est gros et le pragmatisme tant cela peut être au final évident sans avoir vécu vie commune autant de temps. Ce genre de situation et de réplique (même chose pour "je peux au moins récuprérer mon mari " auprès d'une fonctionnaire administrative peut également prêter à rire, ou au moins à sourire, et le film est parsemené de cela et aide à parcourir le film correctement sans être trop brusquement dérouté(e).


En revanche, et contrairement à ce que je viens d'évoquer par rapport à cette subtile façon de filmer - et même de jouer - Arnaud Desplechin me donne l'impression qu'il est sûr de ce qu'il met en avant et de ce qu'il croit de l'amour multiple ; à l'occurence ici, un amour triangulaire.

Par exemple, pour A. Desplechin, le désespoir que vit Ismaël est la représentation de l'amour qu'il a porté à son épouse subitement disparue et qu'il tente de rejeter plus ou moins comme il le peut en présence de Sylvia, qui, quant à elle, semble tout à fait à-même à procurer ce dont Ismaël a besoin tout en allant jusqu'à l'accomplissement de son bonheur personnel de femme jusque-là désabusée par une série d'échecs.

Ceci étant, A. Desplechin étaye l'histoire des trois personnages avec une certaine insouciance et surtout d'une manière beaucoup convenue... ce qui rend l'ensemble particulièrement douteux voir perplexe.

Le fait qu'il ai établit le film sur le fait que cet homme ai a choisir l'une ou l'autre, surtout après un évènement si déroutant du retour de Carlotta, là où non-pas lui-seul mais les trois personnes sont démunies de leurs moyens et objectivement peu à-même de prendre des décisions sur leur avenir amoureux respectif, me laisse penser qu'il y a un contraire flagrant entre un très bon jeu d'équilibre entre surréalisme résolument drôle, et un conformiste et une convenue malhereusement beaucoup trop marquée pour que les trois personnes puissent envisager un avenir joyeux et y compris amoureux.

Cela m'a laissé beaucoup d'amertume surtout en seconde partie dès lorsque j'ai vu comment les trois personnages évoluaient et plus particulièrement les deux femmes entre elles, de plus en plus à-même à se chamailler l'amour d'Ismaël, alors que autant pour l'une de l'autre la situation est incongrue, et que pour Ismaël, il se retrouve non-plus avec plus personne à chérrir hormis son "fantôme réel" d'épouse, mais deux en même temps et parfaitement prêtes à vivre leur bonheur respectif et potentiellement ensemble (je le rappelle : Sylvia n'a connu qu'une série de déceptions et attend maintenant une relation valable, Carlotta est allée vivre ailleurs pendant une éternité et sait aujourd'hui que le vrai amour qu'elle peut vivre est auprès de lui.


En conclusion, c'est un film que j'ai apprécié plus qu'habituellement en raison de son savant équilibre du surréalisme et les situations presque drôles qui m'ont permi de ne pas être dérouté et donc de dériver mon regard, même si je considère que le cinéaste fait fausse-route dans ce qu'il avance, pour la principale raison que, au vu de la situation non-pas que d'Ismaël mais des trois personnes ensemble au même endroit et au même moment, auraient au moins dû faire preuve d'un minimum d'introspection non-pas que pour leur propre intérêt respectif mais commun, en mettant de côté leur conformisme non-pas que envahissant mais destructeur. Car à l'occurence, c'est en raison de ce conformisme émis par chacun des trois personnages, que cela a amené à l'échec non-pas que d'un nouveau couple nouvellement en formation mais des trois ensemble en cours de création.


yoliviers
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