Présenté en compétition au Festival de Cannes 2023, Les Filles d’Olfa est un documentaire sur l’histoire d’une famille tunisienne déchirée par la disparition des deux filles parties rejoindre l’Etat Islamique en Libye. La réalisatrice Kaouther Ben Hania choisit ce format cinématographique en développant une mise en abyme avec deux jeunes actrices incarnant les filles absentes pour mettre en scène les souvenirs familiaux. S’il faut adhérer au rythme exigeant de la reconstitution des liens entre les personnages, le film est un très bel exercice de « thérapie » illustrée puisqu’il s’agit de mettre autant l’accent sur les échanges entre les femmes en dehors de la fiction, que ceux faisant partie intégrante du film tourné. L’émotion est bien présente, par la fiction et le documentaire, et la mère, qui s’était déjà exprimée publiquement en avril 2016 sur la radicalisation de ses filles, peut le faire sans contrainte devant la caméra.
Les Filles d’Olfa répète probablement trop les mêmes idées visuelles, puisque le lieu ne change jamais vraiment, au sein d’un hôtel vide. L’éclairage est très prononcé, et Kaouther Ben Hania ne persiste pas longtemps sur le registre pathétique. Bien au contraire, malgré les mésaventures avec les pères, et les conflits mère/fille, l’œuvre fait preuve d’une grande positivité sur l’introspection collective des personnes au sein du groupe. Autant les actrices que les filles rejouent les faits comme ils se sont déroulés, et il s’agit de travailler le rapport au ressentiment, comme son affect. Olfa ne souhaitait pas être un autre témoin pour une journaliste, mais était intéressée à l’idée de chercher ses vérités personnelles pour partager son histoire de façon communicative et sincère. La démarche de reenactment, consistant à mettre en scène ses souvenirs avec des acteurs, rend cela plus passionnant par une étude du comportement des victimes réagissant au jeu des comédiens. L’émotion est décelée, ressortant du jeu et du vécu des femmes à l’écran.
Ces différents niveaux de réalité attestent du travail si complexe de la réalisation d’un documentaire, pour retranscrire correctement la psychologie des filles et Olfa. Jamais éteintes, elles sont sublimées par la mise en scène, mais il leur faut du temps pour s’exprimer. Refusant d’accorder trop d’importance aux hommes, incarnés par le même acteur, la cinéaste n’omet cependant pas de représenter le caractère incestueux et violent qui lie les femmes avec eux. Lors de scènes dérangeantes, les acteurs ratent la prise et se regardent entre eux. Ben Hania préfère filmer l’amitié naissante entre les personnes, que le traumatisme même s’il mérite d’être explicité. La forme hybride du long-métrage se justifie entièrement par ces nuances naturelles, ne se suivant pas, filmées discrètement en douceur.
La culpabilité qu’éprouve Olfa vis-à-vis du sort des filles disparues est aperçue par le biais du rapport à l’éducation parentale, lorsque la mère les corrigeait en craignant déjà les répercussions de leurs actes sur le futur. La malédiction entre Olfa et ses filles est d’autant plus forte qu’il n’y a pas de figure masculine pour soutenir la mère, ni réconforter les enfants. La radicalisation des aînées par l’Etat Islamique est quelque peu éludée pour explorer le cœur des tourments familiaux, ce qui hante les proches. Un exercice curieusement rassurant et déroutant à la fois.
A retrouver en intégralité : https://cestquoilecinema.fr/critique-les-filles-dolfa-lever-le-voile-fema-2023/