Il faut célébrer l'originalité du dispositif documentaire qu'établit Kaouther Ben Hania : ce mélange trouble entre témoignage direct et reproduction scenarisée, où le making off se fait le film lui même, rappelle parfois Rithy Panh et sa volonté de (re)produire ce qui n'a pas été enregistré.
Mais il faut pourtant en voir et en dénoncer les failles, si ce ne sont les problématiques qu'il soulève : la mise en scène orchestrée d'une tragédie familiale, l'étrange complaisance avec la violence (constante, comme un personnage à part entière du film), la manipulation moraliste des personnages que les comédiennes effectuent sur Olfa (cette mère dont on ne sait jamais si elle est respectée et admirée pour son courage ou moquée et jugée pour ses pensées rigides et sa brutalité) et cette réalisatrice, toujours cachée derrière sa caméra, mais autour de qui tout semble pourtant tourner.
Il faut également pourtant admettre qu'il y a quelque chose d'intéressant dans la confrontation comme irreconcilable de philosophies de vie distinctes (entre les religieux et les "impies", les différentes générations, les sexes - belle trouvaille de faire incarner tous les hommes par un seul comédien -, les actrices et les personnages...), et de beau dans ce portrait de femmes qui prête ses traits à une certaine définition de la sororité, rappelant par moment Mustang.
Cette généalogie familiale sociologique est troublante lorsqu'elle effectue sans l'annoncer une exhumation d'un passé remémoré différemment selon les protagonistes, et une quête des potentielles (mais jamais certaines et toujours trop nombreuses) racines du Mal.
Lorsqu'il confronte la petite histoire de ce cocon familial à celle de la Tunisie (voire du monde puisqu'il est ici question d'un fléau dont nul n'a encore bien conscience des implications et connaissance des solutions), Les filles d'Olfa devient alors puissant et alarmant, mais conserve toujours cet amer et détestable goût de manipulation et d'ostentation au-dessus duquel il est difficile de passer, entachant le cri de liberté qu'est le film.