Un père de famille de Téhéran (misagh Zare) est nommé enquêteur, possible marchepieds vers un poste de juge chez les gardiens de la révolution. Sa complicité avec son épouse (soheila Golestani) est établie, cette dernière veille à l'équilibre familial et gère leur foyer en bonne intelligence. C'est elle qui annoncera aux enfants les nouvelles règles à tenir quant à l'usage des réseaux sociaux, avec un père doté de ces responsabilités, dans ce poste dont elle garde la dénomination secrète pour des raisons de sécurité. Des filles qui se réjouiront de ne plus partager la même chambre dans leur future maison, dit-elle. Puis nous découvrons que ces filles sont plus grandes peut-être que nous le supposions,que la plus jeune, sana (setareh Maleki) termine son lycée et que sa soeur revzan (mahsa Rostani) a 21 ans et va à la fac.
Cette dernière ramène un jour une amie (niuosha Ahkshi), qui se peint les ongles et parle plus librement de la vie, des garçons, ce qui irrite leur mère, Najmeh, qui cherchera à sortir cette intruse de leur vie. Mais c'est la meilleure amie de sa fille, la seule d'ailleurs, dira-t-elle, dans cette société corsetée d'épouse et de filles de wannabe gardiens de la révolution, où le père passe ses journées dehors, revient tard, et elles à l'attendre ou devoir le solliciter pour enfin le voir.
Une vision propre aux sociétés patriarcale, sauf qu'en Iran, les femmes étudient et vont à la fac, une sacrée différence avec d'autres pays soumis à une théologie rétrograde. La Perse possède une culture millénaire, devenue obscure mais qui pourrait renaître. Et voilà qu'un élan secoue sa société, le mouvement femmes vie liberté de 2022-2024 et encore en cours en dépit d'une répression atroce, dont nous voyons des images filmées en cachette par des smartphone tout au long du film.
Rasoulof explique que même s'il avait pu recréer ces événements, il n'aurait pu rendre l'impact de ces images pirates et il a raison. En plus de les fixer à jamais dans le temps long, nous les voyons au travers du regards de ces filles, de ces femmes.
Et à aucun moments cette manière d'imprimer l'histoire en train de se faire ne devient didactique, ce par la grâce d'un scénario remarquable, sans manichéisme, qui réserve son lot de surprises, et d'une mise en scène composant avec une économie de moyens des huis clos pleins de finesse, puis carrément des dédales de grands espaces à la limite du fantastique dès lors que, plus tard, la petite famille s'éloignera de la ville.
Le père, Iman, obligé à mentir dans ses condamnations pour garder son poste, et renier ainsi les valeurs de son serment, parce que c'est ce que le régime attend de lui, s'éloigne de son épouse, à qui il ne peut plus tout raconter. Au fond, il sait très bien qu'il n'est plus cet homme qu'elle a épousée, sur qui lui-même aurait craché des années auparavant. Pour se justifier, il se ment à lui-même, arguant de suivre aveuglément un intérêt supérieur. Un aveuglement qui va le suivre jusqu'à chez lui, avec sa propre famille. Alors sa bouche fera entendre cette paranoïa qui est le lot de ces régimes,.et quand sa fille dira que la télévision ne dit que des mensonges, il lui demandera quel est celui qui lui a appris ça, comme si bien sûr, ce ne pouvait venir d'elle mais de l'ennemi, qui la manipule. C'est un réflexe courant dans ces états en guerre permanents, que de croire à l'ingérence permanente du complot et non à l'esprit critique.
Car les filles en ont vu suffisamment pour se faire leur avis. Leur amie va subir les foudres de ce genre d'extrémisme qui impose aux femmes une façon monolithique de vivre et condamne toute autre expression. Et c'est en la voyant que leur mère va se révéler dans toute sa complexité, d'abord sa résilience qui est celle d'une femme ayant longtemps composé sous ce joug, mêlée à l'amour des siens et de ce qu'elle désirait construire, puis sa reconnaissance d'une situation qui la dépasse, qu'elle essayera malgré tout de sauver par l'amour, jusqu'au sacrifice.
Pour ses filles, il apparaitra progressivement que de sacrifice, il n'est plus question, et c'est un tour de force intimiste que de faire passer cette réalisation chez le spectateur. Face aux violences subie par leur amie, aux images pirates de leurs réseaux sociaux dans leur propre école, leur constat devient sans appel.
Un soir, pendant le dîner où le père, nommé Iman, est enfin présent, l'aînée va se confronter à lui et,le lendemain, il ne retrouvera plus son arme de fonction. Un déshonneur, chez lui, car personne ne se dénonce. Aurait-il perdu la tête ? Sa femme même lui mentirait,en plus de ses filles? Sans arme,il se sent nu,. exposé au danger en permanence , de crainte que ses collègues le découvre et en rentrant chez lui, désormais. Cette arme qu'il porte depuis seulement quinze jours et déjà attribut viril indispensable, Iman va faire appel à tous les moyens à sa disposition pour la retrouver...
Un film au propos politique, avec un engagement et un courage portés par du grand cinéma, de ceux qui nous emportent ailleurs par leur qualité extra-ordinaire plutôt que leur exotisme, aussi bien qu'ils remuent nos ressorts intimes pour libérer des émois peu communs. Un grand film donc, ce qui n'est que plus étonnant si on considère la manière dont il a été tourné. Son patchwork de petites mains artisanales unies dans cette quête de liberté, dont le travail par couches efface autant les coutures de l'ouvrage qu'il les enrichit. Un miracle qui ne doit rien aux dieux mais à des femmes et des hommes, et une nouvelle preuve de l'esprit humain de résistance aux tyrans. Ici en Iran, mais aussi en Birmanie, en Ukraine...
Et qu'il est bon de se voir rappeler. Et de quelle façon!
Avec une pensée ultime pour cette équipe de tournage qui a filmé dans la clandestinité et le courage de ces actrices engagées, déjà citées, refusant leur sort en sortant têtes nues dans la rue pour manifester, obligées de fuir leur pays.
Ne pas se fier à la durée, le temps défile quand on a quelque chose à raconter et le résumé qui précède ne donne pas idée de sa profondeur. Ni son sens du détail, comme cette bouteille de coca-cola posée sur le bureau des deux gardiens de la révolution qui discutent en s'offrant des verres dans une scène de bureau, montrant l'air de rien l'hypocrisie absolue de ces régimes si on considère que son pays d'origine est le grand sheitan.
Un film dont la qualité dépasse la Zeitgest.