José Giovanni raconte dans le bonus du DVD la genèse du film "Les Grandes Gueules". Lui-même a connu une période où il était bucheron et en avait écrit une nouvelle qu'il avait transformée en scénario qui n'a pas abouti auprès des producteurs. D'une visite dans les Vosges du côté de Gerardmer, il découvre une scierie en montagne qui sera le cadre du roman issu de la nouvelle qu'il transforme en un deuxième scénario qui trouvera preneur avec Robert Enrico à la réalisation.
La scierie qui sera le cadre du film avait subi un incendie. Elle a donc été reconstruite pour les besoins du film puis réincendiée à la fin …
"Les Grandes Gueules" est un film dur, sans concession. L'histoire relate le retour au pays d'un homme, Hector, qui était parti faire le bûcheron au Canada et qui hérite de la scierie familiale dans les Vosges. Mais les conditions économiques sont d'autant plus dures que la scierie est loin de tout et subit la concurrence d'une plus grosse scierie géographiquement mieux placée et qui n'hésite pas à user de menaces.
Il reçoit l'aide de Laurent et de Mick, sortis de nulle part, qui lui conseillent d'embaucher des détenus en liberté conditionnelle. L'activité de la scierie peut enfin reprendre mais les nuages et les difficultés ne font que commencer.
Il y a un petit air du Montana ou du Wyoming dans ce film où la scierie est implantée au milieu de nulle part, dans la forêt Vosgienne, donnant une sérieuse impression de western. D'ailleurs, si le mot "western" pose un problème, dans les Vosges, on peut dire que partout, on est à l'Ouest de quelque chose (par exemple ici, dans les Vosges, on est bien à l'Ouest de l'Alsace … )
Mais il n'y a pas que les paysages qui rappelle le western, la musique de François de Roubaix (qui a beaucoup œuvré pour Enrico et Giovanni) y fait beaucoup ainsi que la rudesse du jeu des acteurs qui en viennent facilement aux poings.
Bourvil est encore une nouvelle fois excellent dans le rôle d'Hector, le patron de la scierie qui se bat pour faire repartir sa scierie. Un rôle qui n'est pas dans son registre habituel. Mais justement, il montre un côté vulnérable du personnage qui se retrouve chez lui, au pays mais en territoire hostile où les gens ne se gênent pas pour ricaner en coin.
Lino Ventura joue le rôle de Laurent embauché pour seconder Hector. Et ils font une doublette efficace et très crédible. Là où Bourvil hésite ou bien a des scrupules, Lino Ventura passe en force.
Deux femmes pénètrent ce monde d'hommes, un peu rustres et primaires, faut bien avouer. Elles n'hésitent pas à faire jouer de leur féminité en toute simplicité et avec grand naturel provoquant une rêverie ou un espoir fou ou un avant-goût du paradis chez ces bûcherons, soudain silencieux et respectueux. Il s'agit de Henia Suchar qui joue l'épouse d'un des bûcherons mais surtout, surtout la magnifique Marie Dubois. Marie Dubois, comme toujours, apporte une dose de fraîcheur dans un film. C'est une actrice dont j'aime beaucoup le jeu sobre, souriant, toujours plein d'empathie (tirez sur le pianiste, la grande vadrouille, etc)
Et le reste du casting rassemble une floppée de seconds rôles talentueux comme Jean-Claude Rolland, Jess Hahn (le plus français des américains), Paul Crauchet (dont l'œil s'allume lorsque Bourvil décide de lui faire confiance), Michel Constantin (dans le rôle d'un psycho-rigide), Marcel Peres (dans le rôle du cuisinier après trente ans de cabane), Marc Eyraud (dans le rôle de l'éducateur cauteleux).
"Les Grandes Gueules" est un film d'aventures, un film dramatique, un film noir mais qui aborde aussi le douloureux et difficile problème de la réinsertion d'un homme qui a fait de la prison ainsi que son acceptation par la population.