The Big Country est un western étonnant. Pendant 2h45, William Wyler s'évertue à casser un à un les codes d'un genre jusque-là trop souvent stéréotypé. Commençons par le héros : bien loin des machos armés et mal rasés, James McKay est un gentleman. Propre, bien élevé et peu rancunier, il est vêtu d'un chapeau melon et d'un complet gris qui n'aurait pas déplu à Alfred Hitchcock. Dans une région sauvage où seule règne la loi du plus fort, le personnage interprété par Gregory Peck dérange à tous les niveaux. Que ce soient les vieux durs, les jeunes cowboys ou encore sa future épouse, personne ne le comprend. Quand il tend la joue et refuse de se battre, on le traite de lâche. Quand il refuse de se ridiculiser devant une foule de badauds en montant sur un cheval non dressé, on remet en doute sa virilité. Mais McKay n'en a que faire, et dans son esprit, il ne s'agit aucunement de couardise : il ne voit tout simplement pas l'intérêt de prouver quoi que ce soit aux autres. Sa valeur réelle, il la connaît, et quand il décidera de monter sur la selle du cheval turbulent, ce sera à l'abri des regards.


C'est que Jim McKay vient d'un autre monde. Baltimore, sa civilisation et son héritage britannique, tout cela a bien du mal à être intégré par des cowboys écervelés qui assimilent la vie à un éternel combat manichéen entre leurs amis d'un côté, et les salauds de l'autre. Essayez de vous interposer et de trouver une solution aux problèmes locaux, et on vous rira au nez. Chez tout cowboy qui se respecte, un territoire se gagne en massacrant ses adversaires, en assoiffant leur bétail, et non en négociant poliment autour d'une tasse de thé. Yiihah!


Sur la forme, Wyler tente également de se différencier de ses contemporains, et bon nombre de codes du western seront détournés. Le combat à mains nues entre Gregory Peck et Charlton Heston me semble être le meilleur exemple : alors que la plupart des réalisateurs de westerns auraient tourné ce climax scénaristique près d'un saloon en usant et abusant des gros plans, Wyler décide de filmer les 2 acteurs de loin, en pleine nuit et au beau milieu de nulle part. Pendant plusieurs minutes, il n'y a pas un bruit, si ce n'est celui de leurs poings qui frappent encore et encore l'adversaire. Aussi petits que des fourmis dans un décor immense, ils se relèvent et continuent de se battre inlassablement, jusqu'à l'épuisement. Par son minimalisme délibéré et son absence de subterfuge dramatique, cette longue scène nous montre toute la futilité de la violence. Comme le dit Jim McMay à la fin du combat : "Tell me Leech, what did we prove ?"


Même sur le plan amoureux, ce western sort des sentiers battus. Ici, les femmes ont du caractère, et contrairement à ce que l'on pourrait croire dans les premières minutes, ce ne sont pas de simples potiches tout juste bonnes à servir la soupe à leur tendre époux, bien au contraire. Dans cette région immense et dangereuse où seuls l'honneur et le nom ont de l'importance, elles n'hésiteront pas à prendre les armes pour se défendre face aux voyous ou à risquer le viol pour sauver celui qu'elles aiment. Justement, à ce propos, j'ai trouvé que Gregory Peck et Jean Simmons formaient un magnifique couple de cinéma, tout en retenue. Sur le moment, j'aurais aimé les voir s'enlacer et s'embrasser avec passion, mais comme dans le reste du film, Wyler a choisi la subtilité et le non-dit plutôt que le bavardage inutile et l'étalage ostentatoire de sentiments. A bien y réfléchir, ce n'est pas plus mal : une histoire d'amour ne se résume pas qu'à une succession de déclarations d'amour et de baisers fougueux, et parfois, un bref échange de regards empreint de sincérité en dit davantage qu'une multitude d'étreintes mécaniques et artificielles.


Parmi les acteurs, outre les deux immenses stars que je viens de citer, Buril Ives est très convaincant dans le rôle du patriarche Hannassey, et il fut d'ailleurs récompensé par un Oscar et un Golden Globe pour sa prestation, mais le reste du casting est plutôt moyen. En ce qui concerne les décors, la pierre blanche du Red Rock Canyon est particulièrement bien mise en valeur à la fin du film, mais le reste du temps, William Wyler n'a pas tout à fait le talent de John Ford pour filmer les grands paysages américains. Le seul vrai souci de ce long métrage vient à mes yeux de la musique : les compositions grandiloquentes de Jerome Moross sont souvent hors-sujet, et certaines scènes au fort potentiel dramatique prennent une allure presque comique à cause de la bande son.


Mais dans l'ensemble, je ne peux que vous conseiller ce film fort apprécié par le président Eisenhower. Certains spectateurs sont allergiques au flegme et au calme imperturbables de Gregory Peck, mais personnellement, je suis de plus en plus fan de cet acteur malheureusement un peu oublié de nos jours. Avant le visionnage de ce film, je m'imaginais le voir enfiler son chapeau de cowboy et se laisser pousser la barbe pour s'adapter aux codes du western, et à ma grande surprise, ce fut tout le contraire qui arriva : Gregory Peck ne s'est pas adapté au western, c'est le western qui s'est adapté à lui. Merci William Wyler !

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le 18 mai 2013

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