"The big Country" ou "les grands espaces" est un magistral western mené par un toujours grand William Wyler dont ce n'est pourtant pas la spécialité.
Magistral car il tient de la démonstration sur un scénario, ma foi, très bien construit et quand même assez original bien que les thèmes abordés soient très classiques.
D'abord, c'est un western profondément moral où le scénario ne fait qu'ouvrir des fausses pistes en suggérant a priori puis en les corrigeant les rôles des méchants. Le spectateur découvre au fur et à mesure que les méchants évoluent et ne sont pas toujours ceux qu'on avait imaginé au départ. Il ne suffit pas d'être propre sur soi pour échapper au rôle de méchant. A ce titre, le film n'est pas du tout manichéen car tout le monde a sa chance mais ne sait pas forcément la saisir et chaque personnage passé à travers le prisme du film a sa part d'ombre.
L'histoire se passe dans les grandes plaines semi-désertiques de l'ouest. Deux propriétaires terriens se disputent âprement depuis toujours pour l'accès à l'eau du bétail. Mais le point d'eau appartient à une tierce personne, unique héritière d'une famille de ranchers aujourd'hui disparue, qui avait toujours donné l'accès à l'eau sans contrepartie. La famille de ranchers disparue, les deux propriétaires veulent chacun un usage exclusif de cette eau.
Survient alors une sorte de "chevalier blanc", non violent, fiancé à la fille d'un des ranchers, qui va mettre tout le monde d'accord, pas forcément comme on aurait pu l'imaginer au début du film...
Si je dis que le "chevalier blanc", c'est un Grégory Peck dont le personnage est un ancien capitaine de navire venu se recycler dans l'Ouest, prônant la non-violence, on ne sera pas du tout surpris !
A un quidam (un paysan local jamais sorti de son trou) qui lui dit : "Aviez-vous déjà vu un aussi vaste pays?", il répond avec tout son flegme : "oui, sur l'océan" ...
A sa fiancée Pat (Carol Baker) qui ne comprend pas son caractère trop compréhensif qu'elle n'est pas loin de penser "lâche", il rétorque : "Je ne suis pas responsable de ce qu'ils pensent mais de ce que je suis. Je ne vais pas passer ma vie à démontrer mon courage."
Au contremaître du ranch, Leech ( Charlton Heston) avec qui il refuse de se battre devant tout le monde mais lui passe une correction sévère en privé, il dira : "et maintenant qu'est-ce qu'on a prouvé".
Le personnage tenu par Gregory Peck est d'une grande noblesse. Il se trouve confronté à des règles ancestrales basées sur le code de l'honneur appuyées sur une religion rigoriste et punitive que patiemment il va détricoter.
Parmi les personnages secondaires on trouve les deux chefs de famille qui se haïssent et qui se font face : Charles Bickford en patriarche rigoriste façon puritaine, droit dans ses bottes, qui refuse la concurrence, prêt à faire couler le sang (impur selon lui) et Burl Ives en patriarche débraillé, braillard et paillard, sordide et méchant.
Burl Ives, qui obtiendra un oscar pour son rôle, est un personnage dont on sent à travers sa mise en scène qu'il a la préférence de Wyler. En particulier dans la scène où il s'invite dans un grand bal huppé organisé chez le personnage joué par Bickford : la mise en scène le place constamment dans une perspective qui le met bien mieux en valeur et le laisse apparaître comme un rustre, taillé à la hache, certes mais pas si méchant.
Charlton Heston dans le rôle du contremaître, dévoué et soumis à son patron, joue aussi un rôle intéressant où il tente de jouer sa carte.
Les deux actrices Caroll Baker et Jean Simmons jouent des bonnes partitions pas si évidentes pour la première, de femme capricieuse et ambitieuse, pour la seconde, d'une femme bien plus réfléchie et profonde et pour les deux, amies et rivales.
La mise en scène est somptueuse (Wyler, faut-il le rappeler). Elle profite très bien du technicolor et du scope où le réalisateur se plait à faire de nombreux plans larges ou en plongée dans le canyon.
C'est un western qui n'est pas du tout anodin dont on ne voit pas passer les presque trois heures. Oserai-je dire que l'aspect intelligemment moral du scénario pourrait rappeler certains thèmes de la tragédie grecque.