Nuri Bilge Ceylan, peintre superbe dont chaque plan (et c'est peu dire qu'ils sont nombreux en 3h17 de film) est un tableau de maître, poursuit son étude quasi ethnologique du genre humain et surtout de ses failles et petites lâchetés. L'ampleur de son récit lui permet de percer toutes les strates et couches de son personnage, ambigu et égoïste, nihiliste et, au sens strict, désespéré, et d'approfondir encore son style instantanément reconnaissable et sa réflexion sur les rapports interpersonnels dans un cinéma littéraire et exigeant mais jamais ennuyeux ou hautain.
S'enfonçant progressivement dans une philosophie de plus en plus cynique et lassée, Ceylan fait montre d'une ironie et d'une noirceur profondes, et accompagne la deuxième moitié de son film d'une liberté formelle, sonore et picturale déroutante et qu'on ne lui connaissait pas, avec une remarquables brisure soudaine et momentanée du quatrième mur, qui teinte alors son œuvre d'une couleur insolite, presque fantastique, dénudant plus que jamais la comédie humaine qui se joue devant nous. Ce point de rupture audacieux est certainement l'un des gestes cinématographiques les plus forts vus en salle ces derniers temps, et prouve une nouvelle fois que Nuri Bilge Ceylan est un faiseur d'image, un analyste de la société contemporaine et un artiste plus qu'essentiel.