1935 en Chine. Notre histoire commence alors que le secrétaire d'Etat Anglais aux affaires étrangères, se doit de faire évacuer ses concitoyens du pays qui subit une attaque massive des troupes Japonaises. Une fois à bord de l'avion, le secrétaire Robert Conway et ses 4 compatriotes se rendent vite compte que l'avion ne vole pas dans la bonne direction. Détourné par un pirate mongol, il finit par s'écraser au cœur des montagnes tibétaines. Conway et les 4 autres survivants sont recueillis dans la somptueuse lamaserie de Shangri-La. Ils y découvrent un espace dans lequel les habitants vivent en parfaite autarcie, complètement coupés du monde, ou règnent harmonie et bonheur…
Lorsque Capra décide d'adapter le roman Lost Horizon de l'anglais James Hilton, il sait déjà qu'il s'agit d'un projet ambitieux, peut-être le plus fou qu'il souhaite réaliser depuis le début de sa carrière. C'est lors d'un match de football organisé par la Columbia que Capra annonce à son producteur qu'il envisage d'adapter le livre en film. Seulement lorsque le réalisateur révèle au financier Harry Cohn que le film coûterait probablement 2 millions de dollars, ce dernier laisse tomber sa fourchette en lui gueulant que cette somme ne représente pas moins de la moitié du budget annuel de la Columbia ! Le reste étant partagé par 20 autres films de cette année-là. Pour Harry Cohn, il s'agit donc là d'un coup de poker énorme, surtout qu'il n'a jamais lu le livre, se contentant de faire confiance au talent de Capra qui lui avait déjà rapporté 5 statuettes avec New-York Miami. Mais c'est comme ça que les films se faisaient à Hollywood : "on soutenait le joueur de dés qui avait gagné quatre fois de suite et on misait tous les gains sur son cinquième coup" dira Capra quelques années plus tard dans son autobiographie.
Les deux compères risquaient gros, ils le savaient. Mais Capra était sur de son coup, il fallait qu'il réalise ce film. Il expose plus tard dans ses mémoires les raisons qui l'on poussé à s'orienter vers ce projet, profondément intime et personnel. De sa lecture du roman, Capra explique qu'il a surtout été frappé par un passage où le grand Lama révèle le rêve et la raison d'être de Shangri-La, cette lamaserie tibétaine, où, loin de la folie des terres Occidentales règne harmonie et paix. Cette idée, cette utopie d'un monde idéal produit sur lui un tel effet, qu'il ne pouvait en faire qu'un film.
Mais une autre raison probablement plus ancrée dans son histoire personnelle, motive certainement son choix. En effet, Capra est issu d'une famille immigrée Italienne qui débarque aux Etats-Unis alors que le petit Frank n'est âgé que de 6 ans. Dès le début tout le monde travail, même notre futur réalisateur, qui vend des journaux matin et soir pour se payer son école. C'est sans doute dans cet environnement, ou la pauvreté rythme son quotidien, que sa vision d'un monde idyllique, qu'il retrouve avec Shangri-La va prendre racine. Horizons Perdus fait donc partie de cette catégorie d'histoires qui sont intimement liées à l'histoire personnelle d'un réalisateur. Ces histoires qui les touchent au plus profond de leur être, soit parce qu'elles leur rappel leur histoire passée, soit parce qu'elles représentent leur vision d'un monde utopique qui les fascinent.
Un dernier élément plus anecdotique témoigne peut-être des raisons qui l'on poussé à mettre en scène ce roman. Dans son autobiographie, Capra raconte qu'avant sa sortie, le film a bénéficié d'une avant-première en petit comité. Une sorte de projection privée avec une partie du gratin des critiques Hollywoodiens. La séance fut une catastrophe, les spectateurs sortaient du cinéma en usant d'une multitude de commentaires sarcastiques à l'égard du film. Deux semaines plus tard, Capra projette le film à San Pedro en Californie devant un public bien plus nombreux, après avoir brulé les deux premières bobines du film. Cette fois-ci le film remporte un succès triomphant, le public en sort subjugué. De cette anecdote, Capra en tire sa propre expertise. Il explique que les critiques célèbres qui font le choix de visionner un film dont ils sont l'unique spectateur ou presque, ne coïncide pas toujours avec l'appréciation qu'ils pourraient avoir en visionnant le film en même temps qu'une foule de spectateurs. Beaucoup de critiques pensent que les projections privées leur permettent d'avoir un jugement plus intelligent, plus subjectif s'ils ne sont pas influencés par les réactions de masse du public. Mais si Capra a réalisé ce film, c'est aussi parce qu'il souhaite provoquer des réactions de masse. Avec cette réalisation, il s'interroge sur l'idée du "vivre ensemble". C'est en ce sens que ce film est un film de masse car il requiert l'opinion d'une réflexion collective. D'ou l'importance de projeter le film dans une salle remplie d'une foule de spectateurs, afin de provoquer une réaction de masse. Capra souhaite, non pas remettre en cause, mais faire se questionner les gens sur la vision qu'ils ont de leur propre intégration dans la société.