Hormis sa décevante fin de carrière, il semble que l'on redécouvre de plus en plus fréquemment l'œuvre de Richard Fleischer ces dernières années, et ce n'est que justice. « Les Inconnus dans la ville » n'est pas mon film préféré du cinéaste, et je dois d'ailleurs avouer que j'en gardais un souvenir bien différent, notamment en terme d'action et de nervosité. Pour autant, le redécouvrir avec un regard plus adulte n'en est pas moins très enrichissant. D'abord, la mise en scène, donc : un travail d'orfèvre, auquel le format Scope apporte une ampleur étonnante, que le réalisateur maîtrise à la perfection, la photographie assez singulière donnant un ton, une atmosphère toute particulière.
Le scénario, ensuite : si on peut s'étonner du nombre de personnages, dont certains très indirectement concernés par la trame principale, voir une classique histoire de braquages croiser le mélodrame pur, le tout porté par un regard assez critique sur l' « American Way of Life », les névroses, les pulsions dont souffrent nombre de protagonistes étant omniprésentes, notamment à travers le rôle de Tommy Noonan ou de Sylvia Sidney, malheureusement trop peu présente. On perd ainsi un peu en rythme ce qu'on gagne en intelligence et habileté, n'empêchant pas Fleischer de faire preuve d'une remarquable maîtrise lors des scènes d'action : sèches, intenses, d'une précision assez incroyable, l'affrontement final n'étant à ce titre pas loin d'être un modèle du genre.
Pas réellement de héros, surtout une galerie de figures ayant toutes une utilité dans ce qu'elles racontent, expriment : tous faillibles
(voir Lee Marvin parler de sa vie sentimentale passée est presque touchant alors qu'on sait quasi d'emblée que c'est un malade)
et donc bien plus intéressants. Certains y ont vu une dimension légèrement moralisatrice : ce n'est pas faux, mais suffisamment subtil pour passer sans le moindre problème. Peut-être pas le chef-d'œuvre décrit par certains (dont William Friedkin dans une analyse passionnée souvent captivante), mais un titre important dans la carrière de son auteur : des « Inconnus » bien inspirés de ne pas le rester plus longtemps.