« On est dans l’Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, on publie la légende » cette maxime tirée du célèbre L’homme qui tua Liberty Valance de John Ford est un parfait résumé de Les Incorruptibles adaptation de la série télévisée éponyme des années 50, elle-même inspirée de la véritable histoire des agents du Trésor qui s’attaquèrent au crime organisé à Chicago durant la Prohibition.
Bien qu’il se pare de l’iconographie « Borsalino, Tommy guns et Ford-T » des films de gangsters le film de Brian De Palma reprend les codes des westerns où le nouveau shérif arrive dans une ville sous la coupe de hors la loi qu’il va chasser avec quelques courageux. Les immeubles de Chicago se substituant aux canyons même si De Palma fini par citer le maître du western John Ford dans une séquence canadienne qui voit nos héros charger à cheval. Pour incarner le légendaire Eliott Ness, le choix du réalisateur de Scarface s’était porté sur le jeune Kevin Costner, repéré dans le neo-western Silverado (1985) chez qui il avait perçu derrière un physique de jeune premier ce sens de l’honnêteté et de la justice qu’on retrouvait chez un James Stewart, un Henry Fonda ou un Gary Cooper. Comme ce dernier dans Le train sifflera trois fois il doit affronter le mal dans une ville où la terreur imposée par les criminels a fait renoncer les hommes de bien. Contrairement au shérif du film de Zinneman le jeune Ness aura l’appui d’un mentor, Malone incarné par Sean Connery, qui va le pousser à dépasser ses limites morales pour atteindre son objectif. Ce rôle de vétéran qui rachète des années de renoncement en prenant le jeune agent sous son aile jusqu’au sacrifice apportera l’Oscar du second-rôle à l’ex 007 et lui ouvrira les portes d’une seconde carrière.
Il y a quelque chose de théâtral dans la construction du dramaturge David Mamet (originaire de Chicago tout comme le producteur Art Linson) qui avait déjà signé les scénarios du Verdict (1982) de Sidney Lumet et du remake du Facteur sonne toujours deux fois (1981) de Bob Rafelson. Les séquences s’enchaînent tels les actes d’une pièce et même quand l’action se déroule dans les grands espaces le drame finit par se nouer dans une cabane, le dernier affrontement entre Capone et Ness ayant lieu lui dans l’enceinte d’un tribunal. Malgré tout pas un instant Les Incorruptibles ne ressemble à du théâtre filmé, d’une part parce que la langue de l’auteur de Glengarry Glen Ross est incroyablement moderne, puissante et agressive, parcourue de répliques cinglantes, parce qu’il parvient à faire de ses protagonistes tout à la fois des archétypes et d’authentiques personnages de chair et de sang, et enfin parce que son script est mis en scène par un des plus grands stylistes du cinéma américain. Galvanisé par le projet le réalisateur de Blow-out y met toute sa technique, son goût du baroque et des séquences millimétrées pour offrir, pour sa première authentique superproduction, un grand spectacle digne du vieil Hollywood.
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La mise en scène extrêmement graphique de De Palma encadrée par les lignes strictes des rues de Chicago utilise les angles et les volumes des décors et des costumes (signés Giorgio Armani) dans ses compositions de cadre, sa sensibilité extravagante, presque fantastique donne l’impression qu’il adapte un comic-book. Elle se fait souvent monumentale, multipliant les contre-plongées (et les plongées vertigineuses accompagnant la chute de certains protagonistes), des plans zénithaux parfaits comme celui qui ouvre le film (la séquence de rasage d’Al Capone) et plus tard comme en écho, celui qui illustre les conséquences de la colère du seigneur de la pègre. La flamboyance de sa mise en scène est toujours solidement ancrée dans l’histoire ce qui lui permet de multiplier les morceaux de bravoure technique : des vues subjectives par des caméras portées, de longs travellings, des plans séquence comme celui qui nous fait découvrir l’hôtel Lexington, quartier général de Capone et la fameuse séquence des escaliers de la Gare où il s’amuse à citer Le Cuirrassé Potemkine au cœur d’une mécanique de suspense millimétrée. Au sein de cet écrin de luxe le maître du « giallo américain » parvient même à satisfaire sa prédilection pour le sang, l’étalant sur les murs et les planchers, jaillissant dans des éclats de violence qui n’en sont que plus choquants. La première goutte de sang d’une anodine coupure révèle et annonce la violence du gangster, dans cet esprit aucun moment sanglant n’est gratuit et porte toujours en lui une grande puissance émotionnelle ou symbolique.
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Longtemps courtisé par la production pour incarner Capone, le grand Bob De Niro accepte finalement de retrouver De Palma dix-huit ans après son premier film The Wedding Party (ou il fut crédité comme Robert De nero) (la production engagera même Bob Hoskins dans le rôle, ce dernier acceptant de s’effacer quand De Niro rejoint le projet). Les Incorruptibles marque une des dernières grandes transformations de l’acteur qui mettant de coté maquillage et rembourrage se rendit quelques mois avant le début du tournage en Italie pour se gaver de pâtes afin de retrouver l’ovale poupin du visage de Capone, se rasant la moitié du crane pour simuler sa calvitie. De retour à Chicago l’acteur-caméléon se fit confectionner par le tailleur de Capone des costumes identiques à ceux que portaient le criminel exigeant même de porter les mêmes sous-vêtements en soie, même invisibles à l’écran. La production acheta la véritable bouteille d’Eau de Cologne et le coupe-cigare de Capone placés, presque invisibles; parmi l’attirail somptueux de la scène d’ouverture. Dès les premières minutes, où sa voix menaçante se fait entendre sous une serviette chaude et où la caméra dévoile Alfonso Capone dans toute sa splendeur, il ne fait aucun doute qu’on a affaire à un méchant d’anthologie. De Niro en fait une brute sanguinaire dont la nature violente craquelle le vernis de respectabilité qu’il veut se donner. Pourri jusqu’à la moelle, on le voit pleurer à l’Opéra tandis que Malone traîne son corps ensanglanté sur le sol, dans une masterclass de montage parallèle. Le reste du casting est à l’unisson d’Andy Garcia, intense en tireur d’élite à Charles Martin-Smith comptable héroïque. Et le spectateur n’oubliera jamais la « gueule » de Billy Drago dans le rôle de Frank Nitti, l’exécuteur de Capone, tout de blanc vêtu.
La touche finale à l’édifice est apportée par la composition brillante d’Ennio Morricone, pleine de grands thèmes de suspense, dramatiques ou parfois même comiques (celui de Capone avec ses trompettes « wah-wah ») qu’il envoie avec son exubérance caractéristique planer à des hauteurs de cathédrale avec entre autre le puissant thème d’ouverture (« La force des justes ») qui superpose un harmonica plaintif avec un piano pulsant, faisant écho adroitement au tic-tac imparable du scénario de Mamet. En conclusion la mise en scène sublime de De Palma au service du script puissant de David Mamet, servi par de superbes comédiens et le score de Morricone font des Incorruptibles un classique tout aussi exaltant aujourd’hui qu’il le fut le jour de sa sortie.