"Les Innocentes", rappelant par moment "Ida", qui traitait lui aussi, mais d'une façon bien différente, d'un couvent de sœurs catholiques en Pologne, est un film rigoureux.
Plongé dans la froideur d'un triste hiver, cette rigueur est assurée par le jeu figé et sombre des actrices qui rendent en ceci bien compte des années tragiques que le monde vient de vivre et dont Anne Fontaine nous épargne heureusement le récapitulatif historique.
Car si "Les Innocentes" raconte un fait précisément daté et réel, les enjeux qu'ils déploient et même la situation évoquée pourraient être exempts de date. Les thèmes, graves, beaux, douloureux, sont nombreux et soulignés par une très belle et discrète bande originale, dont on reconnaît, à un moment donné, les violons pleureurs du toujours merveilleux Max Richter.
On l'a dit, c'est une froideur totale, qu'une sublime affiche met en valeur, et que le jeu droit, fièrement assumé et rigide d'une Lou de Laâge forte mais trop naïve met en avant. Anne Fontaine préfère ainsi la neutralité, la distance face à cette histoire qui soulève de nombreuses questions délicates (le rapport de ces religieuses à leur corps, qu'elles voudraient inexistant, le rapport à l'obéissance divine ; jusqu'où aller pour ne pas pécher ?) mais dont la réalisatrice se garde bien de donner une réponse définitive.
Ainsi, en multipliant les personnages de sœurs aux origines, désirs, fois et destins différents, elle montre plusieurs moyens d'aborder ces questions et d'y répondre ; de la jeune et jolie sœur qui décide de quitter le couvent pour rejoindre un amant passager, ou de la "mère" qui décide de donner des vies et sa vie pour servir Dieu, Anne Fontaine nous donne un éventail de points de vues, subtil et réussi, bien loin d'imposer une vision de la foi (grâce au personnage central, pour qui la préservation de la vie et la médecine prime, bien avant l'orientation politique ou religieuse).
Caroline Champetier, que l'on avait déjà rencontré dans le très beau "Des Hommes et des Dieux", retrouve ici les hommes d'églises et les intérieurs de couvent, pour les sublimer, grâce à des jeux de lumières qui montrent la froideur du lieu, d'une saison, d'une époque et d'une région, bien loin du soleil orangé de l'Algérie, et renvoie, par un sens du cadre et de la mise en scène, aux peintures hollandaises. Elle magnifie les visages de ces femmes et rappelle, en soulignant leurs traits semblables, qu'au delà de leurs divergences, elles ont un point commun, majeur ; elles sont des femmes et toutes potentiellement des mères, avant d'être françaises ou polonaises, croyantes ou athées.
Ainsi on est là face à un très beau film, subtil qui évite pour autant un aspect trop rugueux par un scénario qui se permet (notamment par l'histoire hasardeuse entre Vincent Macaigne et Lou de Laâge) quelques diversions aux vertus divertissantes. Néanmoins l'intrigue se fait à quelques moments inutilement longues et répétitives (les multiples étapes du rapprochement de la médecin et de ces sœurs, un peu trop récurrentes) et le jeu parfois un peu hésitant, mais cela est balayé lors d'un final superbe et émouvant devant lequel on retient difficilement une larme.