Il y a dans le cinéma actuel et plus largement dans toute l'industrie du divertissement audiovisuelle une propension certaine à tirer sur la corde de la nostalgie réelle ou mythifiée qu'inspirerait selon les producteurs les années 80 au public, que ce soit la partie de ce dernier qui les a vécues ou celle qui n'étant pas née n'a comme repères que les témoignages d'ainés ou les vues biaisées de la dite industrie.

Combien de films, séries, surfent aujourd'hui sur cette tendance ? Combien de reboot, de séries, sortent aujourd'hui en reprenant des pans entiers de la culture populaire de cette décennie ? Je ne vous ferai pas l'affront de toutes les citer, vous avez, j'en suis certain, tous des exemples en tête, tant de réussis que de franchement dispensables.

Or à titre personnel, je ne déteste rien autant que la nostalgie, l'antienne puant la naphtaline et une sorte de vision réactionnaire d'un "c'était mieux avant", qu'en plus l'on confonde nostalgie avec mélancolie et là je peux sans autre forme de procès vouer une œuvre aux gémonies !


Pourquoi cette introduction ? Parce qu'avant de regarder Les Magnétiques (2019) je craignais qu'une fois de plus, le film n'évoque cette décennie que sous le prisme des souvenirs embellis ou légendifiés des créateurs. Or si je décide de parler de ce film, qui m'a grandement séduit, c'est justement entre autres qualités parce qu'il ne tombe pas dans cette facilité scénaristique, bien au contraire.


En choisissant pour sa première séquence d'évoquer l'élection de François Mitterrand en 1981 à la magistrature suprême, le film rappelle à ceux qui auraient feint de l'oublier en quoi cette élection symbolise tout à la fois l'espoir et la désillusion qui poindrait bientôt et par extension en quoi cette décennie si fantasmée ne manque certes pas de bons souvenirs, mais n'est pas exempte de points moins glorieux qui remettent en question l'idée déjà citée du "c'était mieux avant."


Le principal argument qui illustre selon moi ce point de vue qui va à l'encontre de la tendance actuelle tient dans les choix des musiques du film. Oubliez la longue litanie des tubes FM enjoués qu'on connait tous, le film choisit plutôt d'utiliser des groupes, artistes, titres issus de scènes plus intimistes comme Throbbing Gristle, Gang Of Four ou Joy Division parmi d'autres noms, connus souvent d'un public plus averti que celui des auditeurs des radios généralistes les plus populaires. Attention, en aucun cas, je ne veux ici faire un quelconque acte de jugement de qualité d'un style par rapport à un autre, je veux juste expliquer en quoi ce choix musical pour le moins original vient démontrer en quoi cette décennie n'était pas juste fantastique mais aussi vectrice de choses plus sombres.


Nous suivons deux frères et leur petit groupe d'amis, dont les destins parallèles forment l'allégorie de la désillusion alors en filigrane de cette époque. Acteurs inspirés d'une radio pirate que l'un anime tandis que l'autre s'occupe de l'habillage sonore, l'ombre et la lumière, l'ombre revenant à Philippe dont le génie à manipuler les bandes magnétiques des cassettes pour en extraire des ambiances sonores précises, pointues, originales. La lumière dévolue à Jérôme, extraverti, à l'aise aussi bien en société que derrière un micro, personnage fantasque, soleil noir de destinées croisées vouées à s'écraser dans une impasse et un final nihiliste dont ils n'ont pas encore conscience.


Toutefois, de la même façon que l'évocation des années 80 s'abstient de la facilité d'une évocation toute positive, la caractérisation des deux frères démontre rapidement que l'apparent manichéisme n'est qu'illusion, Philippe sans se départir de sa timidité parviendra à affronter un monde lumineux qui lui paraissait à lui et à nous, inatteignable, quand dans la même temporalité Jérôme n'aura de cesse, malgré la lumière émanant de lui, de s'enfoncer dans un crépuscule de plus en plus ténébreux.


C'est exactement le thème central de ce film, qui à travers la métaphore de ces deux frères pétris dans l'idée de ces années 80, illustrent en quoi la désillusion se fera réalité dans le contexte historique de l'époque, en quoi l'espoir de la prise du pouvoir par la gauche, laissera bientôt place à une série de trahisons et à la montée de l'extrême droite, en quoi la désinvolture apparente d'une certaine jeunesse masquait mal le profond mal-être qui allait exploser dès la décennie suivante, en quoi encore une fois, si la mélancolie que peut susciter l'évocation de ces années pour qui les a vécues existe et est compréhensible, il ne s'agit pas de faire la politique de l'autruche et d'occulter la réalité plus nuancée d'une ère qui fait figure aujourd'hui d'un fantasme cynique dans l'industrie du spectacle.


Il n'en est rien, et tout comme pour ma génération, il a été facile de fantasmer les années 60, mon père qui les avait connues et vécues m'expliquait que réduire cette décennie au Hippies et autres symboles positifs ce serait oublié tous les aspects négatifs de cette époque. Ce sera donc ma conclusion, chaque époque est formidable sous pleins d'aspects, chaque époque est détestable sous pleins d'aspects et qu'il serait peut-être temps de l'accepter et de se méfier des films ou séries, qui voudraient absolument vous dépeindre une époque que sous le prisme du formidable.

Spectateur-Lambda
7

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Créée

le 16 mars 2023

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