La première fois que j'ai vu "Days of Heaven" (Les Moissons du ciel), c'était le 17 avril 1999 au cinéma Grand Action à Paris.
Des conditions idéales, donc. Mais seize ans après, dans mon salon cette fois, j'ai éprouvé la même émotion devant ce chef d'oeuvre de Terrence Malick.
Ne cherchez pas ici un film d'aventures, un western ou un road movie. Le cinéma de Malick est d'ordre transcendantal. Et pour son deuxième long métrage, apparaît déjà sa thématique récurrente, laquelle repose sur le rapport spirituel entre l'individu et la nature.
Une immense propriété agricole du Texas, vers 1916. Des champs de blé à perte de vue. Des ouvriers au travail, dont Bill, Abby et Linda, qui viennent de Chicago.
Ce qui est frappant, c'est la beauté des images, qui magnifient aussi bien les paysages que les ouvriers. L'harmonie homme - nature qui s'en dégage semble aussi pure que l'esthétique visuelle. La splendeur qui nous éblouit se dégage aussi bien du macrocosme (les paysages à perte de vue), que du microcosme (gros plans sur les animaux qui se cachent dans les blés) : Là aussi, harmonie de la nature dans son ensemble.
Et cette harmonie que vivent les ouvriers avec la terre qu'ils cultivent, avec la nature qui les entoure, repose avant toutes choses sur l'harmonie des rapports humains.
Mais le ver est dans le fruit, car Bill et Abby ne sont pas frère et sœur comme ils le prétendent, ils ont une relation secrète. Et pourtant Bill poussera Abby dans les bras du riche propriétaire, lequel, sans héritier, est condamné par la maladie. Ils franchissent dès lors la ligne rouge, qui fera se tourner contre eux la nature, puis les hommes. L'harmonie est brisée. Les éléments qui se déchaînent sont la conséquence du mensonge, du projet honteux et contre nature fomenté par Bill.
La voix off de Linda (la petite sœur de Bill) contraste par son innocence avec le machiavélisme du projet de Bill. Bien sûr ses propos manquent de profondeur, et sont peut-être emprunts de naïveté - c'est une petite fille - mais la voix off suscite l'introspection. La beauté d'un tel film ne peut pas résider dans le fait de donner toutes les clés de compréhension, y compris par le biais de la voie off. Chacun doit effectuer sa propre démarche.
En tous cas, la démarche du réalisateur est plus métaphysique qu'enferrée dans le cas particulier de ses personnages, auquel cas, la portée du message serait restée limitée.
Si le projet de Bill est effectivement machiavélique, Abby semble le suivre sans grande conviction, édulcorant ainsi sa culpabilité. Elle tombera même amoureuse de son mari, montrant bien que son objectif n'est pas de le voir mourir au plus vite. Quant à Bill, même s'il portera le poids et payera les conséquences de la faute, son côté inexpressif le rend largement moins coupable que le plan qu'il a concocté. On lui trouverait presque des excuses, à vouloir récupérer la femme qu'il aime. Et lorsqu'il tuera accidentellement le propriétaire, on pourra même penser que c'est ce dernier qui en se jetant sur Bill préfère mourir plutôt que de souffrir d'un amour pour une femme qui ne l'aime pas exclusivement.
Idéaliste sans être moralisateur, et surtout pas manichéen, "Days of Heaven" vole donc au-dessus de la trame de nos protagonistes, et nous délivre un conte merveilleux sur la nature et l'espèce humaine
La musique, très belle, est signée Ennio Morriconne. Mais il faut souligner le thème qui ouvre et clôt le film, le morceau Aquarium du "Carnaval des Animaux" de Camille Saint-Saëns. Ce morceau envoûtant colle parfaitement à l'ambiance du film, notamment au côté dramatique et inéluctable, de la perversion de la nature par la faiblesse humaine.
Enfin, au delà du film il est intéressant de noter qu'après "Days of Heaven", Malick attendra 20 ans pour réaliser "The Thin Red Line". Exigence esthétique et perfectionnisme vs production à la chaine ...