"Maybe they'll put it in Almost Magazine"

La citation du titre est tirée de Scrubs.
Pourquoi ? Parce que Cape Fear réussit presque tout ce qu'il entreprend, à part là où il échoue. C'est presque un bon film sur pas mal de points, par conséquent c'est un film moyen dans l'ensemble.


En résumé, et comme je l'écrivais en statut...
C'est l'histoire d'un bon film, avec des hommages appréciables à Hitchcock (sauf certains effets un peu over the top), dans l'ensemble bien joué (sauf Nick Nolte), bien réalisé (sauf la scène du bateau), bien dosé (sauf la scène du bateau) et assez original (sauf que c'est un remake).
Du coup, c'est l'histoire d'un film moyen, avec quelques grosses incohérences (le comportement aberrant de l'avocat sur la scène de crime, et le piège foireux, notamment), des références bibliques bien trop bourrines, et des clins d'œil au matériau d'origine dispensables, même si passablement cools pour les acteurs en question, j'imagine.
Dommage.


Développons donc.


Je crois n'avoir pas vu, depuis Prometheus, de film dont l'une des scènes constitue une métaphore de lui-même aussi fidèle que troublante. Le naufrage sur lequel se referme Cape Fear (1991) est, à ce titre, une excellente illustration du phénomène.


Tout avait bien commencé. Passée la surprise initiale, on révise rapidement son jugement sur l'entame kitschouille (effets de style éculés, musique un tantinet envahissante) : l'emprunt à Sir Alfred (Hitchcock) devient de plus en plus marqué au fil des scènes, tout en restant pourtant habile et respectueux. C'est d'autant plus remarquable que Scorsese réussit à y adjoindre sa patte, une réalisation nerveuse ponctuée de mouvements de caméra surprenants, alternant les clins d'œil à son illustre aîné et la marque de fabrique du père Martin, avec par exemple des travellings franchement sympathiques.


La trop rare Juliette Lewis est réjouissante de fraîcheur et de sensualité naissante (l'actrice comme son personnage, ce qui ne gâte rien), complétant à merveille l'interprétation de Jessica Lange, que je confesse peu connaître. Parfaite icône hitchcockienne (visage, coupe de cheveux et comportement), cette dernière remplit magistralement son contrat de mère tantôt effacée, tantôt protectrice, tantôt féline et mutine dans son rôle d'épouse.
Et que dire de De Niro, dont la performance est globalement (à l'exclusion de la scène du bateau sur laquelle je reviendrai substantiellement) excellente, et glaçante ? Pas grand-chose, sinon qu'il domine son sujet, face aux papys invités pour un revival honorable du Cape Fear original (1962).
Seul Nick Nolte détonne dans ce paysage, à mon goût : sa prestation manque de saveur par rapport au reste du casting. Quelque peu desservi en cela par un personnage dont certaines réactions improbables gâchent l'ambiance générale du film.


En effet, accrocs dans un crescendo bien mené, quelques ficelles trop grosses et incohérences béantes pourront menacer l'implication émotionnelle du spectateur assidu. Du comportement aberrant de l'avocat, cumulant un mépris flagrant de la loi à une inexcusable et inexplicable réaction sur une scène de meurtre, pour laquelle la surprise seule ne peut certes pas tout justifier, au délire grandiloquent et biblique de Cady, d'abord facile à tolérer puis rapidement envahissant pour devenir gênant dans un final grotesque ; je ne peux nier que le dernier quart d'heure n'a été que déception.
Les gimmicks visuels suivent cette tendance, s'affranchissant du kitsch mâtiné de cinéphilie caractérisant le début du métrage pour sombrer dans une surenchère mal maîtrisée, excessive et nocive à l'immersion (au sens figuré, pour le coup).


Le (relatif) cliché du détenu se réfugiant dans la religion reste acceptable de nos jours, à mon goût. L'utilisation maladive et maniaque qui en est faite pour pseudo-justifier l'épileptique et putassière conclusion du film, l'est beaucoup moins. A fortiori quand le fond rejoint la forme, avec cette allégorie grossière du Déluge, aussi soudaine que pataude.
Le prévisible le dispute à l'inutile, et l'on regrette rapidement et amèrement le personnage vicieux et angoissant de De Niro, quand il se contentait encore avec bonheur de menaces et de harcèlement voilé, notamment par l'entremise du personnage de Danny (Juliette Lewis).


C'est à comparer, à mon sens, aux monstres des films d'épouvante, jamais aussi effrayants que quand on les devine dans l'ombre. Dès lors qu'ils s'exposent en pleine lumière, ils perdent la quasi-totalité de leur pouvoir malsain, hypnotique.
Cady est de ceux-là, à l'image de la scène du théâtre, dont j'ai lu qu'elle était le fruit d'une improvisation des deux acteurs (De Niro et Lewis).


Cette tension soigneusement construite, cet affrontement larvé habilement entretenu, vole en éclats au moment même où notre famille (presque) modèle pose le pied sur le bateau.
Les protagonistes se transforment alors drastiquement, pour le pire, en des caricatures de leurs personnages, et troquent leurs costumes de gentil et méchant savamment troubles, ambivalents, pour ceux d'antagonistes primaires, à la psychologie et aux motivations dignes d'un slasher de bas étage.
La malédiction des histoires qu'on ne sait pas comment finir, et qui s'achèvent dans un déferlement de violence et d'excès, faute de mieux.


Arrivant doucement au bout de la filmographie de Scorsese, et avec la perspective d'en revoir certains pour revalorisation (notamment le pan de sa collaboration avec Di Caprio, dont je ne m'explique toujours pas la médiocrité en regard de leurs trajectoires individuelles respectives), Cape Fear présentait tous les attributs d'un dernier baroud d'honneur avant Casino, le point de basculement vers la seconde partie de sa carrière, que j'apprécie notoirement peu.


Nonobstant son statut de remake, la première heure et demi du film jongle avec des notions très casse-gueule : l'hommage à une figure emblématique du 7ème Art, les références bibliques et le thème ultra remâché de la vengeance, sur fond d'erreur judiciaire (suggérée) dont la victime peine à endosser son statut, tant sa moralité est douteuse par ailleurs. Bref, un travail d'équilibriste dont le cinéaste s'acquitte avec brio dans un premier temps.


Rétrospectivement, le piège de la conclusion hâtive, bâclée et hystérique aurait dû me sauter aux yeux : tous les indices étaient là. Mais pour être honnête, j'avais envie d'y croire, de faire mentir les a-prioris négatifs qui se sont accumulés avec les années en travers de ma relation avec Martin Scorsese. D'ailleurs soyons réalistes : la péloche n'est pas médiocre si on la prend dans son ensemble. Il reste juste, quand arrive le générique, un goût amer dans la bouche ; celui d'un échec certes quasi inévitable, mais qu'on ne peut s'empêcher de regretter quand on le replace dans le contexte global, somme toute positif. Ça, c'est impitoyable.

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le 16 mai 2016

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SeigneurAo

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