The Rocky Horror Picture Show est mon film culte. Je l’ai déjà évoqué. Mais L’Étrange Noël de Mr Jack est mon deuxième film culte, car je les aime tous deux d’amour. Derrière la dégaine défroquée du Dr Frank-N-Furter il y a la mélancolie de Jack Skellington.
Avec la sortie d Les Noces funèbres, sorti en 2005, il est difficile de ne pas le comparer avec cet Étrange Noël. Même si ce long métrage animé a été réalisé (et avec quel talent) par le génial Henry Selick, c’est bien Tim Burton qui a initié le projet, écrit et mis en images par le cinéaste aux cheveux fous. Les deux films partagent bien des points communs, des visuels, des idées, des acteurs et techniciens fidèles de Tim Burton.
Comme tant d’autres films du réalisateur (la patte burtonnienne, n’est ce pas), il y sera question d’un marginal, d’un incompris, pressé de rentrer dans le rang d’une société qui l’intéresse peu. Victor est un jeune homme un peu malingre, artiste et doux, sommé de se marier à une jeune fille qu’il ne connaît pas. Ses parents sont des nouveaux riches qui ont fait fortune dans le poisson, ce que méprisent les parents de la promise, Victoria, mais ils sont pauvres, et l’argent n’a pas d’odeur. Dans ce carcan d’une société occidentale d’un cadre victorien et corseté, les deux jeunes promis ont peu de chance d’avoir droit à la parole et au bonheur. Pourtant, grâce à un piano, les deux vont se rencontrer et découvrir qu’ils ont peut-être plus d’accroches qu’espéré.
Mais les maladresses de Victor, peu à l’aise, font qu’il se retrouve marié à une autre femme, une morte en tenue de noces, qui attendait désespérément un nouveau prétendant depuis que l’ancien l’avait tué pour son argent. Les voici entraînés dans le monde des morts, un espace de joie et de vie, où le morne quotidien des vies précédentes est oublié par la fête, la musique et le reste.
Avec Les Noces funèbres, on retrouve l’amour de Tim Burton pour le gothique, un gothique charmant, où ce qui est plus inquiétant est la réaliste mortifère des vivants plutôt que le monde décalé et festif des morts.
Pour autant, je regrette que cette nouvelle déclinaison burtonienne ne prenne pas autant qu’espéré. Son duo Victor et Victoria est effacé au point qu’ils sont quasiment transparents tout du long du film, avant que la conclusion ne leur donne un peu plus de relief. La fatalité leur colle à la peau, Victor voulant désespérément répondre à ses promesses d’engagement. Le triangle amoureux crée est alors malhabile. Car à côté d’Emilie, la mariée morte, et la joie du monde des morts, la détermination de Victor à vouloir retrouver Victoria alors qu’ils ne sont vus que cinq minutes et que leur monde est d’une tristesse affolante, étonne. Victor et Victoria sont les deux faces d’une même pièce, semblables dans leur timidité et leur effacement, mais la promesse du film qu’il s’agisse de deux âmes sœurs n’apparaît pas assez bien présentée.
La mariée morte est belle, envoûtante, à l’histoire tragique et aux motivations égoïstes mais dictées par l’amour, ou plutôt la revanche d’un amour qu’elle n’a pas eu. Emily est un personnage central, auprès de qui peu peuvent rivaliser. En dehors d’elle, la galerie de personnages est malheureusement assez fade. Cela peut se comprendre pour le monde du vivant, même si le « méchant » se devine à des kilomètres, sans grand intérêt, mais même dans le monde des morts, malgré quelques personnages qui se détachent, cela manque de folie. Musicalement, aussi.
La bande-son de l’Étrange Noël de Mr Jack était fabuleuse, ses chansons étaient entraînantes, parfaitement intégrées à son histoire. Dans Les Noces funèbres, Danny Elfman semble rejouer les mêmes musiques, certains airs apparaissent familiers, ce macabre familial. Si le thème musical au piano est assez réussi, c’est un peu moins le cas des chansons, qui semblent refaire ce qui a été fait mais sans la petite touche éclatante, qui donne envie de claquer des doigts. A noter que le doublage français semble, de façon générale, en deçà de la version originale (avec Johnny Depp, Helena Bonham Carter et d’autres grands noms), les paroles des chansons de celle-ci sont plus percutantes.
Heureusement, s’il y a bien un point qui permet d’atténuer ces quelques déceptions, c’est la réalisation générale. La direction artistique est travaillée. Le monde des vivants est en teintes de gris, comme un vieux daguerréotype. Les architectures sont grandes, longilignes et froides. Le monde des morts est lui coloré et biscornu, les murs sont penchés et délabrés et pourtant plus chaleureux que ceux d’ « au-dessus ». « C’est du Burton » bien entendu, ce macabre XIXe siècle mais aussi ses éclats de vie, lui qui a dressé les grandes lignes de cet univers sur papier, repris par Carlos Grandel.
L’animation en volume est bluffante, usant d’astuces et de perfectionnements technologiques pour assurer de belles images. Les marionnettes en silicone se déplacent de façon naturelle. Et pourtant il faut du travail pour animer certains squelettes, et leurs os. Le voile de la mariée s’anime avec une étrangeté réussie. Les effets de matière sont bien rendus, à l’image de la texture des vieux os de Gutknecht l'Ancien ou du bois rongé d’un banc plus tard. C’est le co-réalisateur Mike Johnson qui a géré cette partie technique. Il s’agit du premier film de Laika Entertainment, l’un des derniers représentants de l’animation en volume et qui fera par la suite de belles réussites comme l'excellent Coraline ou Kubo, L’armure magique.
Vu à l’époque au cinéma, revu encore et encore mais je ne peux m’empêcher de ne pas trouver dans les Noces funèbres des qualités qui me manquent, comme des personnages plus développés, une quête moins consensuelle et un peu plus de folie. Heureusement, le film en possède d’autres, comme sa technique bluffante, donnant corps à ce conte doucement macabre. Que d’autres personnes puissent adorer ce film, je peux le comprendre. Et je le leur laisse, en espérant peut-être lors d’un autre visionnage trouver l’angle d’appréciation qui me fera enfin craquer pour lui.