J'ai du voir ce film une dizaine de fois, avec toujours le même plaisir et le même intérêt. C'est à mon sens un véritable chef-d'oeuvre, d'un parfait équilibre et d'une inspiration remarquable.
Rohmer est parvenu à traiter de sujets inépuisables et permanents de l'art, du cinéma et de la littérature : celui de l'amour et du couple, mais aussi de la jeunesse, et en même temps d'évoquer remarquablement une période charnière de la France, les années 80 à Paris, comme peu de cinéastes ont réussi à le faire, en jouant notamment des motifs de l'époque (Elli et Jacno, les villes nouvelles, les éléments de mobilier...).
Les Nuits de la Pleine Lune est le portrait subtil de Louise (superbe Pascale Ogier) une jeune femme des années 80, une parisienne sociologiquement marquée, évoluant dans le monde de la création, emblématique des "branchés" de cette époque, qui voulaient à la fois s'affranchir des conventions sociales, en vivant surtout la nuit, assurer leur émancipation individuelle, être dans une perpétuelle avidité de nouveauté, de glamour et de séduction.
Vivant récemment en couple avec Rémy en banlieue, Louise se sent trop prisonnière de ce cadre et souhaite pouvoir profiter encore de sa jeunesse et préserver un espace de liberté en aménageant un studio au coeur de Paris, afin de voir ses amis, et donner libre cours à son goût des rencontres et des nuits parisiennes. Elle est très proche d'Octave, intello séducteur qui lui fait une cour assidue, qui la distrait mais ne l'attire pas. C'est sur l'échec de ce pari d'un équilibre que va se jouer le scénario : le pari de pouvoir concilier une vie de couple et de pouvoir profiter de la liberté de la jeunesse (Pauline dit qu'elle ne se sent pas adulte, et n'a pas envie de l'être). Pauline va vouloir jouir pleinement de cette liberté reconquise et se brulera les ailes.
Le film se décompose en trois séquences principales : la première qui est celle de l'affirmation de Louise de son indépendance vis-à-vis de Rémi, la deuxième la fait expérimenter la liberté à laquelle elle semble tant tenir mais qui finalement ne sera pas une source de satisfaction, et la troisième sera celle du retour au cadre de départ, celui du couple, mais il sera trop tard, Rémi sera tombé amoureux d'une autre. Ces trois séquences approfondissent l'incompréhension fondamentale qui est au coeur du couple que forment Rémi et Louise, leurs désirs de vie contradictoires générant un conflit insoluble qui aboutit à l'échec du couple et à sa désagrégation. Louise, incapable de faire des compromis, est déstabilisée par son insatisfaction chronique. Rémi ne parvient pas non plus à comprendre les désirs de liberté de sa compagne. Rohmer filme cette évolution implacable du couple avec une distance et une précision remarquables, en ciselant des dialogues discursifs qui ont fait la saveur de ses films, où les personnages tentent d'analyser leurs désirs et leurs aspirations.
Les comédiens sont tous exceptionnels, avec un des rôles les plus marquants de Fabrice Lucchini, figurant le looser amoureux brillant et volubile, un Tchéky Karyo tout en retenue, et une Virginie Thévenet plus mondaine et "branchée" que nature.
Ce conte moral, réflexion sur l'amour et ses désordres, qui fait partie de la série "Comédies et Proverbes" est à mon avis l'un des films les plus réussis de Rohmer, avec Ma Nuit chez Maud, Le Genou de Claire, L'amour l'après-midi et Pauline à la Plage.