Le film est sorti en 1964 (j'avais 9 ans) et mes parents avaient été le voir pour faire comme tout le monde et avaient trouvé ça absolument ridicule et nul. J'étais toujours resté avec cet écho jusqu'à ce que je le voie moi-même à la télé vers l'âge de 20 ans. Je n'avais, à mon tour, pas aimé cette histoire qui m'avait paru être une guimauve insipide avec des dialogues très pauvres.
Et puis, un jour en 1992 (j'avais alors 37 ans), je l'ai revu dans des circonstances particulières qu'il serait trop long et sans intérêt de détailler : un déclic s'est produit et j'ai réussi à pénétrer dans l'univers particulier de ce film où les acteurs parlent en chantant (même s'ils sont pratiquement tous doublés) et où l'histoire est banale et triste. Il y avait (il y a) un charme indéfinissable que je suis bien incapable d'expliquer rationnellement qui a opéré (qui opère). Je me suis procuré le DVD et chose ravissante, je ne me lasse pas de voir ce film. Je prends plaisir à en choisir et en visionner un extrait entre deux …
"Charme indéfinissable", "incapable d'expliquer" : c'est d'autant plus vrai que mon épouse qui déteste – absolument – ce film (la musique nulle, les images et photos complètement datées, les paroles nunuches, les chanteurs poussifs qui n'ont pas de voix, …) n'a pas de mots assez durs pour qualifier cet "objet parisien et de parisien pour les parisiens" alors que moi je suis à la peine pour tenter de justifier et d'expliquer mon ressenti.
Au calme, essayons d'y voir un peu clair et au moins de jeter sur le papier (enfin, sur la feuille Word) quelques idées, quelques clichés.
Dès le début, ce ballet de parapluies pompé chez Stanley Donen et que tant d'autres (comme Johnny To) reprendront à leur compte. Et la pluie triste dans une ville portuaire triste où les gens marchent sur un pavé mouillé et luisant. Cette tristesse étreint le spectateur.
Le magasin de parapluies à l'atmosphère douillette avec des tapisseries au mur aux couleurs chaudes et vives avec les deux femmes dont les costumes sont assortis. Ou s'ils ne sont pas assortis, les mettent en valeur.
On n'est pas dans une comédie musicale américaine car personne ne danse ni ne fait de numéro de claquettes. On est dans une logique d'opéra avec des concepts simples pour le fond de l'histoire et les dialogues. Oui mais un opéra où on comprendrait les paroles car on reste proche du langage parlé. La référence claire à Carmen peut le laisser penser. Finalement un opéra populaire ?
La musique de Legrand qui épouse parfaitement les diverses parties et les diverses tonalités. Elle passe d'une musique résolument de jazz à une musique classique pour marquer de l'émotion, de la joie ou de la tristesse. Effet d'envoûtement ?
J'aime la voix de Danielle Licari qui double Catherine Deneuve.
Les portraits féminins : certains portraits en plan fixe de Geneviève (C. Deneuve) ou de Madeleine (Ellen Farner) sont à tomber. La pureté des visages et des yeux. La profondeur et la chaleur du regard ?
Les couleurs. J'ai évoqué le magasin mais il y a la rue aux pavés luisants, les couloirs ou les murs avec des couleurs franches ou au contraire, la gare (le jour du départ) avec des couleurs ternes et tristes. Ou encore Roland Cassard qui va épouser Geneviève avec son costume noir, son cartable noir et sa voiture noire. Il détonne dans le magasin aux couleurs vives ou vivantes. La voiture noire qui emporte Geneviève dans sa robe blanche…
Les couleurs dans la dernière scène, sous la neige blanche où Madeleine a des couleurs pimpantes (un foulard vert) tandis que Geneviève qui arrive à l'improviste est habillée de sombre, soulignant ainsi la fin d'une histoire. Tout s'oppose pour mieux conclure : le sombre et la sophistication du chignon de Geneviève face à la joie de vivre et la simplicité de Guy/Madeleine.
Les mouvements de la caméra très mobile qui tourne autour des personnages dans le magasin mais aussi dans la rue. Ou qui accompagne le couple Guy/Geneviève la nuit dans la rue, qui semble glisser sans marcher. Hors du temps. De temps à autre, la caméra se pose et prend le temps de faire un portrait. Les actrices Deneuve ou Farner, je l'ai déjà dit mais aussi la tante de Guy dans son lit ou même la mère de Geneviève.
Derrière une apparente sobriété dans les mouvements d'action, il me semble qu'il y a une grande minutie dans les prises de vue.
J'arrête là et en guise de conclusion, je conclurai sans nul doute que je suis certainement la victime d'un envoutement fatal et durable dans ce grand film de Jacques Demy. Mais j'avoue que j'aime ça …