Après "Amanda", Mikhaël Hers décide d'explorer de nouveau les sphères de l'intime et le thème du deuil. Le deuil de quoi ? D'une existence, autre. Un renouveau qui commence par l'enjeu national de l'élection au pouvoir d'un fameux président de gauche, auquel s'adjoint plus personnellement un foyer familial qui se délite, impliquant une nécessaire réinvention de soi...
Charlotte Gainsbourg campe une mère de famille désoeuvrée : au début des années 80 et alors que son mari quitte le domicile sans autre forme de procès et la laisse seule dans leur appartement parisien avec ses enfants de 15 et 18 ans, Elizabeth doit trouver à se reconstruire, joindre les deux bouts et s'acheminer en quête d'un travail pour subvenir aux besoins de cet heureux petit noyau familial. On découvre alors un univers simple et hors du temps, ces deux adolescents solidaires ainsi que leur mère, lunaire et effacée, qui oeuvre au mieux pour se battre sous les lumières artificielles de la nuit.
Son Salut, c'est aussi à cette traversée nocturne qu'elle le doit - à une émission radiophonique, étape centrale de l'intrigue. Les passagers de la nuit, c'est l'histoire de cette recomposition familiale, à laquelle vient se greffer le personnage nodal : Talula. Comme une figure angélique, animée de mille feux et en même temps très effacée, petit oisillon grunge sans véritable nid d'appui qui volette avec difficulté. Les destins de Talula et de la douce Elizabeth se croisent donc, et cette dernière prend le parti de l'intégrer à la petite famille, avec ce que ça comporte d'aventures et de partages comme de concessions et de douleurs.
Ce fut un immense coup de coeur pour moi. Tout est beau dans ce film. De la scène d'ouverture qui suit du doigt les lumières éclairées d'un plan du métro parisien au visage de Talula, des images d'archives au sourire flamboyant de Charlotte Gainsbourg. C'est du don de soi qu'il est question ici. La générosité, le goût des autres, la beauté de ces instants volés au temps, être au monde, ensemble. Mais c'est aussi une oeuvre sur l'apprentissage, avec une forme de résilience : s'affirmer dans un nouveau travail, aller vers autrui sans gêne, accepter les failles de chacun, rencontrer, aimer, se réinventer au gré des rencontres. Sublimes Charlotte Gainsbourg et Emmanuel Béart, sublime trio de jeunes acteurs aussi, à commencer bien sûr par l'ange déchu qui incarne Talula, ravissante Noée Abita dont l'air maussade nous transperse le coeur. Une belle remontée du temps, la reconstitution des années 80 étant particulière réussie, le grain de la pellicule et la photographie sublimant chaque image.
Mkhaël Hers m'avait déjà fascinée avec son Amanda, pour moi c'est un deuxième coup de coeur énorme. Les passagers de la nuit m'a bluffée et émue de la première à la dernière seconde, pour son onirisme pur, sa sincérité crue, la beauté de ces instants volés au temps. Je n'ai pas peur des mots, pour moi c'est un film sublime et généreux qui fait beaucoup de bien. Merci pour ces bribes d'émotions pures, dans les studios d'une émission de radio comme dans un débarras ou un nouveau salon familial, à chanter du Joe Dassin. A s'aimer.
"Et si tu n'existais pas, je crois que je l'aurais trouvé,
Le comment de la vie, le pourquoi,
Simplement pour te créer
Et pour te regarder."