Les poings desserrés fait parti de ces films où une grande place est donnée au spectateur et le (re)dote de ses capacités d'imagination. La narration essaime des éléments au fur et à mesure que les images défilent ; comme dans la vie, le spectateur débarque "in medias res" dans une situation et doit amorcer un raisonnement par induction pour tenter d'établir une histoire cohérente, une histoire qui fasse "sens" pour lui, qui soit intelligible. Il est loin l'assistanat scénaristique... La bienveillance liberticide du scénariste qui tremble à l'idée que " si on n'explique pas tout, ils ne vont pas comprendre !".
Ce scénario m'a rappelée Le goût de la cerise de Abbas Kiarostami, qui avec autant de sagacité, réussissait à pétrir l'Attente ( l'attente d'une explication, d'une réponse à ces enchaînements de séquence que le spectateur reçoit sans aucune notice, aucun mode d'emploi) de possibles fictifs ( le spectateur imagine une première raison, puis une seconde, une troisième... jusqu'à la chute) et narratifs.
L'ouverture : un prénom qui résonne "Adazra", se mêle au bruit des voitures sur cette branche de périphérique poussiéreuse. Un jeune homme cherche la dénommée, celle qui se cache derrière le col de son sweat, cache son sourire ironique, doux, pincé.( Qui sont-ils ? Quels liens les unissent ? )
Il disparaît dans sa camionnette, et un autre jeune homme, le frère d'Ada, surgit de l'hors champs pour venir cogner le dos de sa sœur, la taquiner, lui rappeler "qu'il" ne viendra pas aujourd'hui. Tout se succède avec tant de naturel, rien ne semble écrit.
Le décor : l'Ossétie du Nord, aux confins de la Russie du Sud et de la Géorgie, morceau de territoires multiculturels, enclos par les "vainqueurs" de l'Histoire. On ne la connaît pas cette Ossétie, jamais on nous la montre. La poussière, les montagnes, les blocs, les infrastructures décadentes, les vieilles bagnoles. L'hors temps, un temps zéro, coincé, comme l'Ossétie, entre deux espaces définis. Un décor limbique où l'on est bloqué, emprisonné. L'ennui étouffe, fait suffoquer. Drifts sur les terrains vagues, tirs sur les façades des immeubles, tour en moto : la jeunesse s'enchante avec ce qu'on lui a donné. Le mouvement enclos sur lui-même ; la nausée n'est jamais loin.
Décomplexer l'amour complexe : Les relations entre les personnages sont loin d'être univoques. On ne sait pas comment qualifier ce lien qui les lient, les relient. D'une nature complexe, teintée d'amour, de possession, de haine, de répulsion, les relations d'Ada avec ses frères, son père, son fiancé potentiel, nous rappellent que rien n'est définissable nettement, que nos rapports sont pétris de contradictions, de paradoxes. Comme l'une des dernières images qui montre les mains d'Ada raccrochant celles de son père autour de sa taille ; alors que celle-ci a tenté, pendant plusieurs heures, de les décrocher.