Drôle de réévaluation de ce film. Vu à sa sortie en 2000, je n' avais su comment le classer tant il jouait sur divers registres, film d'action tanguant dangereusement sur le fil de la parodie sarcastique, comédie un peu foutraque à la stylistique débordante, et puis ce braquage de guerre à la façon "de l' or pour les braves" pas très novateur au fond, avant qu'il ne bascule en rédemption tragique à la western old school... L' Histoire de branquignols tiraillés entre leur appât du gain et le bon vieil instinct de l'entraide...
La critique était facile à l'époque d'une fin "hollywoodienne" où les américains s’achètent une bonne conscience, in extremis où ce bazar retombait sur ses pattes...
Le propos du film est plus simple en fait.
Immergez quatre américains, un redneck pas éduqué, un réserviste engagé pour faire bouillir la marmite, un professionnel qui se demande bien ce qu'il fout là, et un afro-américain prompt à dénoncer toute intolérance, dans le maelström de l' Irak de cette époque où la seule chose qu'il comprenne est qu'il y a de l' or en barres à se faire.
Et puis au fur et à mesure du film ils oublient leur petite gueule à mesure qu'ils se plongent dans le pays réel, loin de leur cantonnement made in and made for us. Ils comprennent que le peuple est vraiment le dindon de la farce de cette guerre. Qu'on rend gentiment aux riches koweïtiens ce que le méchant Saddam leur avait volé mais qu' on se lave les mains de ce qu'il inflige à ses opposants.
Mieux qu'un cours de géopolitique, la réalité pure d' une Amérique maniant le "hard power" comme les majorettes leur bâton sans se soucier des dommages collatéraux, les syriens et les irakiens en paient encore le prix seize ans plus tard, et cela durera encore une génération....
A sa sortie, nous ne connaissions pas aussi bien la situation en Irak, l'usage de la torture restait chose abstraite pour nous, il est vraiment étrange pour moi de voir comment ce film de 2000 en plus d'être un "post scriptum ironique à la guerre du Golfe"( dixit un critique ) est une sorte de prequel cinématographique de la guerre de 2003 and so on...
Je crois pouvoir ajouter que Russell a dû se nourrir pour sa charge de l'exemple de la guerre en Bosnie... bien oubliée ou inconnue de la plupart( je vous renvoie à l'excellent film de Peter Kosminsky, l'impossible mission , sorti peu avant ).
Pour faire court, sa bande de bras cassés accomplit dans son film ce que des milliers de casques bleus ont été incapables de faire pour sauver des civils massacrés à Srbrenica ou ailleurs...
Éloge en creux de l' affranchissement des règles pour trouver un accomplissement, pertinence géopolitique surprenante après coup, j'enfonce le clou en vous invitant à être attentif aux dialogues de la scène de torture où la barbarie ordinaire le dispute à une clairvoyance des enjeux assez magistrale pour un type ( Russell ), qui soit disant ne connait rien à tout ça.
Alors oui la caricature a parfois vieillie, les années 2010 ont ringardisé les années 90, mais n'en demandons pas trop, savourons notre plaisir. Russell a compris instinctivement le chaos de la guerre, les civils qui trinquent et les plus malins qui ont l' art d' y saisir les opportunités.
Comme dans un jour sans fin, ses personnages se débarrassent de leur cynisme, pour revenir à une certaine humanité.
Impossible dans le cinéma et le monde des séries d'aujourd'hui. On aime trop ce qui est simpliste, cynique, et la dérision est le cache sexe d'un vide abyssal.