En 1960, Kurosawa décide se s'offrir sa propre maison de production. Il sort de dix années de prestige international, son pays le reconnaît enfin à sa juste valeur et son dernier film, La Forteresse cachée est un grand succès populaire.

Le premier film qu'il produit est à mille lieues des chanbaras qui firent sa renommée mondiale ; résolument contemporain, Les Salauds dorment en paix raconte une histoire de vengeance sur fond de corruption à grande échelle avec une dénonciation très vive de certains débordements et de la passivité des fonctionnaires qui s'en rendent complices.

Comme souvent chez Kurosawa, les choses prennent tout de suite une dimension inattendue. La mise en place de l'histoire pendant le mariage de la fille infirme d'un chef d'entreprise douteux, le tout raconté par des journalistes aux aguets est un petit bijou de tension qui saura inspirer Coppola pour son Parrain et qui nous place d'emblée au milieu des turpitudes les plus noires de cette étrange compagnie.

Le reste du film se concentrera principalement sur le jeune marié, sorte de Hamlet-Dantès au visage dur et aux lunettes sévères que Toshiro Mifune porte à bout de bras avec son aisance coutumière et une belle facilité dans le sifflotement. La plus grande partie du film est d'ailleurs assez formidable, avec un justicier jubilatoire et mystérieux, d'énigmatiques livres de comptes truqués, des marchés publics qui ne le sont pas moins, des tireurs de ficelles invisibles et une tension qui monte jusqu'à l'insoutenable...

Comme d'habitude, le moindre chauffeur de taxi est interprété par une gueule connue de chez Kuro, ce qui fait toujours plaisir, même si, Masayuki Mori est méconnaissable et que Takashi Shimura, cet agneau bêlant, a l'air beaucoup trop gentil pour un dirigeant sans scrupules...

Pour mes éclaireurs avisés, le film oscille entre déception visible et adulation extrême, j'avoue me situer un peu entre les deux.
Certes, le film propose son lot de scènes fortes, une photographie somptueuse et un sujet palpitant traité de façon originale.
Mais pourtant, quelque chose empêche le film d'atteindre pour moi les autres sommets du maître : une façon par trop démonstrative de mettre le sujet en valeur, une histoire d'amour un peu inutile, les personnages ratés que sont le frère de la mariée et le vieux copain du justicier, et la petite touche de pathos en trop qui ne passe pas toujours... Du coup, la dernière partie du film est nettement moins réussie, malgré quelques trouvailles merveilleuses, et je ne saurais le comparer à toutes les merveilles de perfection que Kurosawa a pu nous offrir par ailleurs.

Nonobstant, un Kurosawa imparfait reste infiniment plus intéressant que les plus grandes réussites de l'immense majorité des autres réalisateurs.
Torpenn
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le 14 mai 2012

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Torpenn

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