Par la grâce d'un petit cercle de cinéphiles, et la complicité d'un philosophe pour l' animer , je trouve enfin la voie pour mettre en mots ce que peut m' inspirer cet implacable chef d'oeuvre.
Dans le trajectoire du Maitre, le film m'apparaît clairement comme l' affirmation de son style, sa marque de fabrique, la "one point perspective" ( plan large avec un point de fuite https://vimeo.com/48425421 ) , qui donne une profondeur de champ vertigineuse, avec ce travelling arrière/ avant ( la tranchée qui conduit à la mort/ le poteau d'exécution où la vie s' achève ) qui toujours me transperce, comme si j'entrais dans l 'image ou que l' image entrait en moi.
Par contraste, et c'est une notion tellement kubrickienne, les films aujourd’hui avec leur profondeur de champ quasi nulle, leur flou généralisé, cette culture du gros plan à l'overdose, me parait le symbole manifeste d'une platitude, d'un incapacité à ne plus voir les choses qu'au bout de son nez, bornés comme des Bouvard et Pécuchet de la vidéo...
Mais revenons au film avec ses contrastes redoutables je disais...
Le choix du noir et blanc,
le bruit assourdissant de la bataille, le roulement de tambour interminable,
tranchés nets par des silences de mort.
L' engagement sans faille du colonel Dax contre la Lâcheté présente du sommet de la hiérarchie à sa base, une lâcheté à multiples visages, morgue de l' officier supérieur, trouille de ce petit officier qui boit pour la noyer comme on boit du du ptit lait/ noie du ptit chat.
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La rigidité d'un général qui confine à la bêtise, opposée à la souplesse politique de son supérieur.
Et puis nous y voilà, la quête obsédante du pouvoir, les mensonges à foison, l'hypocrisie érigée en art et la manipulation comme arme la plus redoutable, vanités... Tout est vanité, face à cette terrible Vérité qui surpasse toutes les autres, dépasse la seule lecture politique du film: l'unique certitude de l' être humain, il va mourir un jour.
La ligne est claire et tracée implacable vers ce peloton d'exécution où des hommes innocents doivent mourir, afin de payer la faute commise par d'autres... Sacrifice de boucs émissaires( Merci René Girard, et Ludovico pour la sagacité! ) dont le destin nous émeut, nous révolte.
L'absurdité de la guerre se rajoute ici à l 'absurdité de la vie. "Fear and Desire".
Oui au fond j'ai à présent le sentiment que la dénonciation de la guerre, Mister K la revendiqua haut et fort dans la presse française pour enfoncer le clou à la censure exercée par l' état français, reste seconde derrière le cœur béant du film, la scène centrale dans la géométrie de l'architecte cinéaste de l 'exécution.
Balayée la parodie de justice. Surjouée à dessein je crois, cet effondrement des hommes devant le mur de la Mort que la consolation de la Religion n'apaise pas. Retour en enfance, révolte vaine, curieux aveu au prêtre de la mort de la libido qui précède celle du corps. Génie de Stanley ce pathos désordonné ( la caméra ne pouvant suivre la chute de Paris) instillé dans sa cathédrale de plans géométriques.
Ce qui sauve le film de la caricature surlignée, de la démonstration vaine, qu'on lui reproche à tort je vous le dis, est cette ironie cinglante qui parcourt le film à commencer par les notes suraiguës d'une Marseillaise en ouverture.
Ne pas se laisser impressionner par ses plans, ce fameux contraste entre les dorures du Château de l'Absurde et du Mal et le Chaos de la terre et de la fumée, celui du Feu et de la fourmilière ( y ' aurait-il bien du Kafka derrière tout ça? merci Laurent! ) où se terrent les hommes pour ne pas mourir....
Non ne pas se laisser distraire, pour mieux prêter oreille aux dialogues mordants, et je le répète à plus soif entendre la petite musique de l' ironie, cette putain d'ironie qui serait la seule issue. Voir comment Douglas explose son visage si carré pour vomir son dégoût, avec une violence quasi grotesque, avant que l' ironie ne reprenne le dessus, ait le dernier mot.
Film sur la guerre où l'ennemi est invisible, génie de Kubrick à capter l' essence même de la barbarie en guerre industrielle. Vivre ou mourir dans le no man's land est affaire de hasard.
A moins que l' ennemi des soldats soient leurs propres chefs, ou eux mêmes... L'homme est un loup pour l' homme, ou pour lui même à travers ses démons intérieurs. Nul besoin de convoquer les allemands.
Et puis si finalement.
La légende est connue, cette ultime inspiration, cette fin rajoutée pour redonner un peu plus de compassion à l'ensemble, et nous retourner. Dans laquelle notre petit malin de Génie s'amuse à faire chanter son adorable fiancée allemande devant sa troupe d acteurs dont certains n'ont pas vu leurs femmes depuis des lustres, au bout d'un tournage épuisant.... Les bêtes sauvages que la guerre a éveillées en eux, retrouvent l'espace d'un instant, une courte parenthèse, une humanité presque enfantine qui toujours, regardez leurs yeux, me noue la gorge. Salaud de Kubrick, sublime moment de communion...
N'oublie pas que tu vas mourir, et vis, souris avec l' ironie aux lèvres...
Et puis pleure si tu veux. Combat l' injustice en mon nom.
Vanités, tout est vanité.
Ô vous frères humains. . .
*Souviens toi que tu vas mourir , illustré par cette mosaïque de Pompeï