Les Temps modernes par Kroakkroqgar
‘Modern Times’ est connu pour sa critique du monde industriel du début du 20ème siècle. En revanche, la dénonciation qu’en fait Charlie Chaplin n’est pas franchement argumentée. Les défauts du taylorisme et le fordisme sont certes largement plus connus aujourd’hui qu’au moment de la sortie du film, mais le personnage de Charlot ne pousse pas la réflexion plus loin que les troubles physiques et psychologiques engendré par le travail à la chaîne.
La caricature est trop forte, et le personnage de bouffon maladroit de Charlot décrédibilise en effet le propos. Que les patrons d’usine puisse être uniquement préoccupé par le rendement est plausible, mais il est dommage d’exagérer la chose en instituant des rythmes de travail intenables. Et la présentation de la machine à nourrir les employés est ridicule. Non seulement il est évident qu’une telle installation n’est ni efficace ni rentable, mais l’humour de la séquence est particulièrement grossier. Dans le même esprit, la bêtise des maux d’estomac dans le bureau du directeur de la prison est d’une bêtise absolue.
En fait, c’est de manière générale que le comique de Charlie Chaplin ne fonctionne pas vraiment dans ‘Modern Times’. Se fondant principalement sur des comiques de situations et des comiques de gestes, Charlie Chaplin ne peut plus que faire sourire passé un certain âge. Evidemment, quelques idées sont plutôt amusantes. Le passage où Charlot prend de la cocaïne par inadvertance est très réussi, grâce aux mimiques inimitables de l’acteur. Par la suite, son traitement princier en prison est plutôt malin compte tenu du contexte social à l’extérieur. Enfin, c’est l’épisode du restaurant qui reste le plus plaisant : entre les quelques bons gags liés au service et la chanson que Charlot interprète avec une gestuelle folle, le passage représente aussi une lueur d’espoir dans un scénario plutôt sombre.
D’ailleurs, le scénario n’est pas d’une qualité exceptionnelle. On peut plaindre Charlot pour les situations improbables dans lesquelles il parvient à se fourrer, mais sa maladresse cache souvent sa stupidité. Du coup, sa mise en scène du chômage n’est pas forcément pertinente. Globalement, les rebondissements et les péripéties des personnages principaux ne mènent jamais bien loin, et semblent n’être que de petites aventures. C’est encore ce que confirme le final, où Charlot et son amie repartent à zéro.
En revanche, l’œuvre a le bon goût de révéler deux talents. D’une part, la délicieuse Paulette Goddard et son sourire irrésistible, d’autre part, la qualité de metteur en scène de Charlie Chaplin. La réalisation est de qualité, et l’acteur-réalisateur offre le plus souvent de longs plans-séquences, ce qui éclaire encore son jeu. On retiendra en particulier le passage où l’ouvrier fera du roller les yeux bandés au bord d’un balcon.
Un film muet pas franchement convaincant dans sa critique du monde industriel, sans être tout à fait déplaisant.