Violents, branleurs, insolents, misogynes, obsédés, voyous, emmerdeurs, ...
Jean-Claude et Pierrot sont beaucoup de choses. Mais ils sont avant tout des bons vivants, un brin couillons, un brin dangereux, qui croquent la vie en la gâchant, profitent de tout instant.
Le film de Blier est ainsi : débordant d'une énergie toujours en puissance, mais paralysé par la flemme. En ressort cet espèce de road-trip mal défini où la destination est improvisée, le véhicule changeant, les humeurs aussi, les partenaires sexuels tout autant.
Bertrand Blier fait souffler un vent de révolte sur son film, une révolte de la jeunesse contre la vieillesse, d'une jeunesse banlieusarde qui s'emmerde, est frustrée et se sent mal dans une société patriarcale et réactionnaire. Ici les vieux, les pères de famille, sont mous, faibles, couards... Ils ne savent trop comment réagir devant leur voiture si ouvertement volée, leur fille si explicitement kidnappée (pour paroxysme de la révolte, la fameuse scène - presque finale - d'une Isabelle Huppert encore adolescente, mais déjà excellente, qui "coupe les ponts" avec ses parents et se laisse allègrement dépuceler...). Et le public, en 1974, a du grincer des dents... Car pour souligner l'esprit libertaire de la jeunesse qu'incarne à merveille ces branleurs sublimes que sont Depardieu et Dewaere, Bertrand Blier n'hésite pas à cogner fort : flirtant avec le sexisme le plus primaire et vulgaire, il accumule les scènes "choc" où les femmes ne sont résumées qu'à sacs à foutre (pardonnez l'expression) un brin prostituée (avec pour comble de l'injure, ce viol motivé par l'argent, dans un train, avec une Brigitte Fossey qui s'abandonne soudain avec désir à ses agresseurs... comme si les filles n'étaient bien que des putes...). Mais bien peu malin sera celui qui s'arrêtera à la première lecture injurieuse et choquante du film pour s'en révolter, l'accuser de glorifier le viol ou j'en passe... Car d'une part Blier grossit tellement exagérément le trait, à dessein, qu'il rend son film profondément absurde en montrant bien, au final, nos deux héros un peu couillons (et homos ?), ne justifiant jamais leur actes, ne les glorifiant jamais, nous parvenant à les rendre, au fond, profondément sympathiques, malgré leur sourire carnassier que l'on oubliera pas, comme un copain un peu dangereux... D'autre part car, en débordant d'humour (notamment par le sens des dialogues, finement écrits et interprétés !), le film ne prête jamais à l'agacement, à l'énervement, mais plus à la tranche de rigolade, qui jamais ne sera loin de son aspect malsain, que Blier rappelle tout au long de son film avec des scènes dérangeantes, comme des piqûres de rappel (que penser de cette fin où nos protagonistes s'y mettent à trois pour "libérer" une ado jusqu'alors bien sage ? La musique soudain grave nous laisse nous poser la question ...).
Dommage que Blier desserve totalement son récit pendant plus d'une demie heure avec une seconde partie très mollassonne scénarstiquement, totalement absurde dans sa manière d'introduire de nouveaux personnages inutiles, pénible par moment (toute l'histoire avec Jeanne Moreau dont on ne voit trop l'intérêt...), qui quitte tout l'humour et la subtile dose de malaise qu'il avait su distiller avec brio jusqu'alors...