Une poésie glaciale parcourt le métrage. Tout, dans l’image, la musique, les corps et les esprits, est d’une froideur inconfortable, portée par le dévoiement terrible d’une science qui ne sèchera jamais de larmes. Contre la brutalité du récit, la photographie et la bande son offrent un conte visuel doux et lent, hybride et ambivalent. L’image prime sur la parole, on se passe de mots ; l’horreur n’en a jamais besoin pour être crue. L’image fuyante d’un visage d’autant plus monstrueux qu’il se cache sous le masque et les ombres, l’image insoutenable d’une opération frontale dont nous sommes les voyeurs, mais aussi l’image d’une fille délicate, dont le visage laisse transparaître davantage d’émotions que celui de son père.
Estimé parmi ses pairs, le docteur Génessier personnifie un rationalisme inhumain et pétri d'orgueil qui est la mauvaise conscience de cette France meurtrie par la guerre et troublée dans sa conscience par les gueules cassées. Il est seul responsable de l’accident qui a coûté à sa fille son visage et son existence civile. Enregistrée dans le registre des décès, celle-ci ne devient progressivement que le moyen d’une expérience dont la portée dépasse les vies de sa cobaye et de ses victimes. « J’ai dû faire tant de mal pour un miracle » sonne comme la quête d’une vie d’un savant sans empathie, qui a vendu son âme au diable pour se faire dieu créateur, aidé dans cette entreprise par une assistante, Louise, bête au visage d’ange, qui incarne le mal ordinaire et la dévotion excessive à une autorité trop nocive.
Le salut vient d’une libération, celle des animaux de laboratoire, de la victime Paulette et de Christiane, trop consciente d’être prisonnière elle aussi. Les chiens se chargeront de déchiqueter le visage du père. Elle, elle s’enfoncera dans la nuit entourée de colombes qui, si longtemps enfermées dans leurs cages, lui ressemblent plus que tout autre. La France aussi a connu sa libération, les médecins des camps ont pour certains subi la vengeance, mais la possibilité de l’oubli est morte dans les camps de la mort. Le visage de Christiane portera indéfiniment les stigmates de son accident, il est cette société qui ne peut plus se regarder en face.
Les siècles savants sont aussi des siècles de destruction, où va jusqu’à disparaître la culpabilité du mal et des exécutions de masse. Georges Franju, qui a réalisé Le Sang des bêtes, un court métrage sur les abattoirs, est sûrement hanté par ces capacités de destruction systématique banalisées par la froide technique.